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Variations autour de curiosité et plaisir

En formation, en éducation…

  Marie-Françoise Bonicel

  << Que dois-je devenir ?

- Un curieux

- Ce n'est pas un métier ;

- Ce n'est pas encore un métier.

Voyagez, écrivez, apprenez à vivre partout. L'avenir est au curieux de profession.>> "     

 

            Ce dialogue issu de l'incontournable Jules et Jim de François Truffaut et repris par l'écrivain Robert Bober, dans son livre-quête, " On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux " colore bien ce qui a éveillé mon intérêt pour l'assemblage de ces deux termes, et si vous prolongiez la lecture de ce dialogue, vous verriez aussi que l'auteur fait du métier de documentaliste, un métier de " curieux ". Questionne-t-on les candidats documentalistes de l'Education nationale sur leur "curiosité", au moment de l'embauche ? Eux qui doivent stimuler celle des jeunes…

             Mais le titre du livre laisse présager aussi que cette curiosité n'est pas sans risques… L'adage populaire " la curiosité est un vilain défaut ", s'il m'a laissé de vagues traces de culpabilité, n'a jamais réussi à entraver la mienne. Dans mon imaginaire nourri de livres et d'expériences enracinées dans l'enfance, la curiosité avec son corolaire, le plaisir, sentait un peu le soufre.

             N'est ce pas dans la mythologie de la Genèse et du Paradis terrestre, la connaissance interdite suscitée par Satan qui va faire plonger notre humanité dans le mal et la souffrance de génération en génération ?

             Dans la mythologie grecque, on se souvient que Pandore avait reçu comme dons de la déesse Hera la curiosité et la jalousie. Cette dernière, une fois installée comme épouse, céda à la curiosité et ouvrit une boite qui contenait tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, ainsi que l'Espérance, libérant ainsi les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte pour les retenir il était hélas trop tard ! Seule l'Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée pour notre plus grande chance !

             Les récits de la littérature enfantine ou les contes et mythes de toutes les cultures sont eux aussi, peuplés de portes interdites, d'entrées de grottes mystérieuses, de miroirs à franchir, aux risques de malheurs à venir.

             Le Diable boiteux de Lesage sur lequel nos jeunes fronts de lycéens se sont penchés pour l'épreuve de français au baccalauréat ne transportait il pas le héros sur les toits pour qu'il puisse regarder à l'intérieur des maisons ?

             Pour la psychanalyse, la curiosité intellectuelle serait un avatar de la curiosité de l'enfant concernant les questions sexuelles. Freud puis Mélanie Klein parlent de pulsion d'investigation ou de pulsion épistémophilique et de sublimation. Eternelle question des origines ? Peur et désir de savoir, peur d'apprendre, corolaire de la curiosité interdite ?

             Les immenses baies des ateliers d'artistes de Montparnasse incitent au plaisir de la curiosité quand la nuit vient et que les lumières intérieures éclairent les lieux, tandis que le passant indiscret reste dans l'ombre.

             En Alsace, les winstub aux vitraux en gros verre dit " cul de bouteille ", sont censés assurer la discrétion pour les clients .Mais en fait ils suscitent la curiosité de ceux qui tentent le nez collé aux vitres, de deviner l'atmosphère du lieu où les habitués consomment sans chichi-tralala, selon l'expression de Germain Muller, chantre de l'Alsace, les produits du crû.

 

La curiosité : un art d'éveiller

"Quand on a mission d'éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi."

Rougeur des matinaux, René Char

             Peut être aussi un art de nous réveiller, de nous inciter à tourner un regard intrigué vers un nouvel objet, un phénomène inattendu, un processus qui suit un cours inhabituel et nous invite à une " déviation des choses " qui conduit au plaisir de changer ou de faire du neuf avec de l'ancien. L'histoire des arts y compris des arts culinaires, comme celle des sciences dures ou tendres, sont jalonnées de ces surgissements créatifs où la curiosité a joué le rôle de stimulateur ou d'excitation.

             Cette citation de René Char, elle, a été reprise dans un magnifique article de Michèle Amiel, alors proviseure au Lycée de Montreuil- sous- Bois (Education & management, n°27, page 27 (09/2004, disponible sur internet) et qui fait de la capacité à innover en gardant ses convictions humanistes, le moteur de son action et la vitalité de sa motivation.

 

             " Faire le choix de garder le lien entre mes valeurs et mes pratiques demande une motivation et une patience inépuisables, un effort permanent pour maintenir l'équilibre entre des forces paradoxalement contraires. Cette tension cependant est féconde, qui nous rend imaginatifs pour défricher ensemble des chemins au milieu des ronces et des passages étroits ". Il n'y a pas d'imagination et de capacité à défricher sans curiosité et sans plaisir associé.

 

La curiosité, antidote à l'ennui

"Un voyage de 1000 lieues commence par un simple pas."

Lao Tseu

              Curiosité et prescience du plaisir…Qu'y a-t-il derrière le miroir ? Cette énigme a nourri l'imaginaire collectif depuis Alice aux Pays des Merveilles à Harry Potter en passant par de grandes œuvres littéraires ou cinématographiques, faisant de l'expression " passer derrière le miroir ", le symbole d'un accès- en santé ou pathologique parfois -, dans l'au-delà des apparences.

             Susciter le désir plutôt que le combler, reste une démarche qui tisse les deux termes. Que deviendrait le désir si le passage derrière le miroir aboutissait ?

             Une Journée d’Etudes sur la Curiosité réalisée en 2010 à Toulouse avec économistes et scientifiques, voit dans cette curiosité « plus qu’un geste inaugural, appelé à céder au-delà des premiers âges de la vie, mais moins qu’une disposition latente qui, une fois activée, pousserait à agir ». Cette " curiosité créatrice envers les choses ", est sans doute une orientation naturelle, renforcée par l'éducation, mais elle est aussi confrontée à l'éphémère de la stimulation, qui doit rendre vigilant pour que l'individu reste sur un qui-vive créateur.

 

              Comment garder vive la tension et l'attention des élèves, des formés, et…la nôtre quand recommencer rime avec répéter et…ressasser?

" Chaque jour je commence ", affirmait saint Antoine du désert, ce grand ermite du III eme siècle, qui inspira Bosch, Breughel autant que Flaubert et qui disposait d'une sagesse de vie enracinée dans l'expérience d'une exceptionnelle longévité.

 

La curiosité, antidote au conformisme

 "Un disciple n'est pas un vase qu'on remplit, mais un feu qu'on allume."

Bachelard

             Le formule est connue, mais mérite d'être revisitée. Pour ne pas me mettre à dos, les partisans de l'unique savoir-savant, je nuancerais volontiers la phrase de ce philosophe ou disant " n'est pas qu'un vase qu'on remplit, mais surtout un feu qu'on allume."

             Interrogé dans le Nouvel Observateur (8 au 12 septembre 2012) pour le dossier Qu'est ce qu'un bon prof ?, le généticien Axel Kahn affirmait entre autres que l'enseignement doit être associé à un plaisir (ce qui n'exclut pas l'effort et parfois la souffrance de la difficulté), évoquant le succès de la Main à la pâte, qui " à l'école primaire satisfait la curiosité et l'envie naturelle de jouer. " Pour lui, la curiosité est naturelle chez l'enfant, mais a tendance à s'éroder au fil du temps, et une des missions de l'Ecole serait de la transformer en appétence.

             " L'ennui naquit de l'uniformité ", affirmait un fabuliste méconnu du 18 eme siècle. Et cette uniformité peut aussi conduire à un conformisme sans plaisir. Favoriser la curiosité de l'enfant, c'est aussi lui permettre une autonomie de pensée et d'agir, en osant se démarquer de la pensée unique du groupe particulièrement prégnante chez les adolescents.

             Charles Péguy nous dit les risques de l'ennui, de la monotonie non seulement des actions, mais plus encore de la pensée conforme.

              " Et c'est ici enfin que nous rejoignons notre Bergson : une mauvaise idée toute faite est infiniment plus pernicieuse comme toute faite que comme mauvaise ; une idée fausse toute faite est infiniment plus fausse comme toute faite que comme fausse.

              … Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C'est d'avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse : c'est d'avoir une âme habituée. "

              Si nous ne croyons pas à l'existence de l'âme, on peut cependant entendre cette déclaration de l'écrivain, comme la métaphore de tout risque d'enlisement de nos pensées, de nos convictions, de nos sentiments ou actions en entretenant notre intérêt et notre vigilance, c'est-à-dire en fait notre appétence dans la vie. Ce projet est valable notamment dans la diffusion ou la réception dans le monde du savoir, des connaissances, mais aussi dans les engagements de toutes natures dans lesquels nous sommes investis et ceux dans lesquels nos jeunes et nos formés sont immergés.

              C'est aussi pour l'enseignant, l'éducateur, garder vivace le désir de transmettre, de former, d'innover, à contre courant des modes comme de la nostalgie pour un autrefois mythique.

 

 La curiosité, antidote à l'erreur

"C'est l'inconnu qui nous rend libre." Spinoza

 

              Dans ce même colloque de Toulouse évoqué plus haut et consacré à la curiosité, il est mis en valeur la manière dont elle nous invite à une exploration de l'avenir, initiant et constituant pour P. Naville " une forme anticipatrice et imaginative de l'attitude vigile. " On sait en effet que dans les métiers qui à un moment ou un autre comportent une part routinière ou du moins d'automatisme, l'erreur est prête à se réaliser, la fausse manœuvre à surgir, quand l'effacement de la curiosité se fait plus pesant.

              Cela est valable dans la plupart des métiers ceux du soin comme ceux de la technique, ceux de l'enseignement comme ceux de la recherche dont elle est un ressort manifeste, comme l'histoire des sciences en témoigne.

              Le bon scientifique va en effet se laisser étonner et surprendre et permettre à l'inattendu de se déposer sur son socle de connaissances, l'enrichir ou le remettre en cause, prévenant l'erreur ou la rendant féconde.

              Pour assurer des formations dans des établissements de soin (ou comme patiente !), j'ai remarqué que, bien souvent les protocoles de soin, les check-lists de surveillance, qui sont destinées à assurer sécurité et efficacité, sont trop souvent utilisées par les personnels non comme des outils qui rendent disponibles à l'inattendu et à l'imprévu, mais comme des règles qui garantissent que " l'objet soigné " ( le tibia, le colon, l'utérus ou la prostate) le sont dans les normes prévues, alors que le " sujet soigné " déborde parfois de façon imprévisible le cadre envisagé, invitant le soignant à une curiosité positive pour ne pas passer à côté d'un accident de parcours aux conséquences funestes.

 

La curiosité, antidote à l'ignorance

               L'ignorance de l'autre, les stéréotypes culturels, les représentations figées privent dans l'éducation au sens large, de l'accès à la différence, à la compréhension de l'autre et du monde inconnu.

              " Dans le jeu, la présence de l'autre devient une source de plaisir et de curiosité, et cette curiosité contribue au développement d'attitudes saines en amitié, en amour et, plus tard, dans la vie politique, comme l'a souligné Winnicott ", n'hésite pas à suggérer la sulfureuse philosophe américaine Martha Nussbaum dans un article à propos de l'Education dans " Courrier international " du 24 juin 2010.

              Et dans son remarquable et dérangeant essai, " Les émotions démocratiques. Comment former le citoyen du XXIème siècle ", elle mobilise la méthode et les valeurs de Socrate pour former des citoyens actifs critiques, curieux, capables de résister à la pression des pairs.

 

              A vrai dire, j'ai eu quelques difficultés dans la combinaison de l'ordre des termes et je pense que ce qui émerge en figure dans ma déclinaison, c'est pour une bonne part le plaisir de la curiosité, de ce qu'elle suscite, génère, éveille et réveille en concluant que " l'absence de curiosité est un très vilain défaut ", aux conséquences mortifères pour la pensée, les émotions, la culture, la relation à l'autre et au monde.

              C'est peut-être aussi mon goût naturel pour les commencements et recommencements qui m'a mobilisée dans cette réflexion vagabonde (voir co-evolutionproject.org/.../marie-francoise-bonicel-lamour-des)

              Mais ma curiosité n'est pas sans limites : c'est ainsi que découvrant sur la toile, l'existence d'une Université mondiale de la Curiosité et du Plaisir. (UMCP), le lien m'a conduite à une référence …payante de Face-book, qui m'a laissée sans désir et sans plaisir. Mais peut-être cela éveillera t'il la curiosité d'un lecteur ?

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