Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

 PLAN DU SITE

 

La problématique du genre :

L'Homme est il un animal comme les autres ?

 

Marie-Françoise Bonicel 

 

 " Penser l'événement, c'est-à-dire " ce qui arrive " et jamais ne se répète, qui est indissociable du moment et du lieu où il s'est produit comme des personnes qui l'ont vécu. Saisir ce qui nous saisit et tend à nous laisser sans voix. Analyser les processus qui constituent la trame de la vie sociale, les penser dans leur complexité énigmatique, plutôt qu'être agi par elles. "

4 eme de couverture du livre d'André Levy Penser l'évènement:

           Quand j'étais enfant ou étudiante, notre langue nommait le " genre humain ", le genre masculin, féminin ou neutre en grammaire, et accessoirement " le mauvais genre " qui qualifiait les comportements de femmes ou hommes, peu recommandables, au regard des normes du moment. Depuis cette époque trop lointaine, je ne me souviens guère d'avoir eu l'occasion d'utiliser ce mot.

 

           On peut s'interroger sur cette soudaine effervescence autour d'un mot -mauvaise traduction du terme anglo-saxon "gender"- et d'études à propos d'une question qui a traversé des décennies de recherches et de publications et dont je pensais qu'elle avait trouvé des réponses à la fois de la part des scientifiques des sciences " dures " et des sciences humaines. Réponses certes provisoires, comme l'histoire des sciences nous l'apprend et comme l'actualité nous le rappelle (voir la remise en cause récente et provisoire de la théorie d'Einstein, sauf erreur liée à des biais expérimentaux).

 

           Dans la même semaine j'ai reçu une pétition d'un regroupement s'appelant " L'école déboussolée ", se revendiquant d'être d'obédience laïque (signée curieusement par quelques scientifiques mais qui n'ont pas pris la parole sur les medias validés), montant au créneau contre la théorie du genre ( gender ), et l'annonce d'un colloque organisé par les AFC ( Familles catholiques) dont les intervenants n'appartiennent pas à l'aile " libérale " de l'Eglise catholique, c'est le moins que l'on puisse dire (on se souvient de leurs manifestations contre le PACS en 1999). Des députés et sénateurs de droite sont également intervenus dans cette réaction effervescence au parfum de croisade.

           Le SNES, lui s'exprime clairement face à ces manifestations : " Le SNES condamne cette attitude. L'école ne se laissera pas instrumentaliser à quelque fin que ce soit, les enseignants feront leur travail au service de l'émancipation des jeunes ".

           Sans vouloir prétendre, ni pouvoir balayer tous les aspects d'une question aussi complexe, je propose quelques pistes de réflexion pour sortir des amalgames, du mélange des registres et résister à ces poussées d'urticaire idéologiques.

           Qu'est ce qui peut en effet réunir dans un même combat des laïcs non identifiés en terme de positionnement politique et se réclamant de la science, une droite populaire, et des catholiques traditionnels sinon traditionalistes qui ont eu bien du mal au siècle dernier à accepter les théories… scientifiques de Darwin !

 

Pourquoi maintenant ce parfum de croisade?

" Quand souffle le vent du changement, chacun s'accroche à ses racines ". Jacques Duquesne

 

           L'Eglise catholique, dans sa frange conservatrice, face à la défection des fidèles tente de faire un retour " au miroir du passé ", que l'on voit se manifester dans les polémiques des années dernières sur les rites, la langue latine ou le retour des dentelles des servants d'autel, et que dans leur stimulant ouvrage " Les pieds dans le bénitier ", deux femmes catholiques d'ouverture, attribuent notamment à l'angoisse face aux changements. Mais en cela elle est aussi la caisse de résonance d'une société qui face à un monde en métamorphose, tente de faire retour à un illusoire - " à l'époque " - passé idéalisé.

           Face à un monde qui bouge trop vite et dont les repères sont fragilisés, ces réactions conservatrices peuvent figurer parmi les peurs des temps modernes, décrites par l'historien Jean Delumeau et dont il dit "La peur ne disparaîtra pas, car fondamentalement elle est liée à la mort". Et le conservatisme est fondamentalement lié à la peur de perdre, au besoin illusoire de sécurité. Le sexe est concerné au premier chef par la vie et donc la mort qui en fait partie.

           Si l'on fait un détour par un petit ouvrage issu d'un colloque, où dialoguent le sociologue Eric Fassin, la psychanalyste Lytta Basset et l'ancien Maitre de l'ordre des dominicains, Timothy Radcliffe sur " Les chrétiens et la sexualité au temps du sida ", on y entendra un tout autre discours d'ouverture, à l'écoute des bouillonnements de notre temps loin de ceux de catholiques crispés sur des peurs.

           Des politiques ont suivi (ou précédé ?) ces mouvements de contestation d'une minorité, face à des chercheurs qui interrogent les présupposés d'un certain savoir reconnu dans la communauté scientifique qui, comme tout savoir est susceptible d'être remis en cause à la lumière d'autres découvertes, comme l'ont été les découvertes sur l'hérédité, celle de l'ADN en 1953 et bien d'autres.

 

L'énigme de la sexualité au risque des sciences

           S'il y a bien un thème fondateur, essentiel et inépuisable qui traverse le temps et l'espace, les sciences dures et humaines, les croyances et l'art, c'est bien celui- de la sexualité. Les débats sur la question de l'inné et de l'acquis ont enjambé les siècles, mais avec l'évolution rapides des connaissances, il ressurgit à propos d'objets divers : les pédagogues ont suivi les interrogations sur l'intelligence, les médecins sur les maladies, les sociologues sur la violence des groupes, les ethnologues sur les évolutions humaines et les anthropologues sur les civilisations. Les enjeux sur ces sujets sont de taille avec leur cortège de conséquences politiques, juridiques et sociales. Aucune science en effet, n'existe dans un vide social.

           Le questionnement sur le genre est ainsi traversé autant par la biologie que par les sciences humaines et les croyances religieuses.

 

Sur ce sujet, je retiendrai quelques balises en m'appuyant sur les différentes ressources scientifiques :

- Dans un article de 1999, le Monde diplomatique rappelle à l'occasion des 50 ans de la sortie du " Deuxième sexe " de Simone de Beauvoir en 1943, la tornade médiatique qu'il a suscité : " on ne nait pas femme, on le devient ", ébranlant les certitudes, ouvrant aux femmes des chemins nouveaux. (le droit de vote n'est apparu pour les femmes qu'en 1945 et en 1942, la peine de mort a été encore appliquée à une " faiseuse d'anges "). On ne parlait pas de " genre " à l'époque, mais se développaient les concepts de rôles sociaux visant à distinguer le sexe génétique et les représentations de la manière de vivre ce sexe.

 

- Les travaux sur le genre, ainsi nommés, ont donné lieu à un concept, médical à l'origine, pour penser des cas particuliers de fonctionnements sexuels qui ne rentraient pour dans les catégories binaires (H/F) : ambigüités anatomiques, androgynie, transsexualisme etc. Les résolutions de l'ONU en 1995 sur les femmes, en 2011 pour les minorités sexuelles, ont pris en compte les connaissances fournies par les travaux sur le genre. C'est également le cas de l'OMS (2002) ou des instances européennes qui s'appuyent sur ce concept pour justifier les efforts budgétaires visant au soutien de l'égalité et de la lutte contres les discriminations.

 

- Les mouvements féministes se sont approprié le terme pour interroger ainsi par le biais de la marge " l'ordre des choses ", avec son cortège de choix politiques, juridiques, même si les travaux de Judith Butler (1995) ont suscité bien des réserves du fait des dérives associées.

 

- Les " anti-genre " sont amenés à s'insurger contre ce que certains ont qualifiés d' " élucubrations de sociologues venus des Etats- Unis ". C'est avoir une conception bien étriquée de l'origine des découvertes, la science se construisant de nos jours évidemment dans un paysage international.

 

Devenir homme, devenir femme…

           Le sujet invite aux confusions entre la différenciation sexuelle (ce que nous appelons sexe F ou M), l'identité sexuelle, l'orientation sexuelle.

           Nous savons que derrière la dénomination sexe féminin et sexe masculin, s'appuyant sur la génétique, se superposent et s'enchainent le sexe chromosomique, les gonades et les phénotypes. Il arrive que d'un simple point de vue physiologique, ces trois caractéristiques ne soient pas en concordance et induisent des anomalies dans la détermination sexuelle, et ces dysfonctionnements sont sources de grandes souffrances (anomalies dans les organes génitaux, stérilités particulières etc.)

           Mais l'identité sexuelle qui renvoie à la manière dont le sujet se perçoit homme ou femme (ou plutôt H, ou plutôt F) se constitue dès la naissance, sous l'influence de l'environnement familial et de la culture, rejoignant la question des rapports de l'inné et de l'acquis qu'il est sans doute illusoire dans l'état des connaissances de qualifier en termes de pourcentages. L'interaction entre ces deux registres, va générer des comportements acquis, la manière particulière de vivre les rôles prescrits par le sexe génétique, différemment selon la culture du lieu et l'époque. L'histoire sociale est truffée d'exemples de ces représentations des rôles qui ne cessent d'ailleurs d'être relayées ou précédées par le droit dans bien des cas : droit social, droit de la famille, droit civil

Un exemple :" En Australie, Les personnes transgenre et celles dont le sexe est ambigu pourront donc désormais se définir avec un "X" sur les passeports australiens, à condition qu'un médecin atteste de leur choix. Auparavant, il n'y avait le choix qu'entre homme et femme, et les personnes pouvaient changer de genre sur leur passeport, uniquement s'ils avaient subi une opération. "C'est une avancée importante pour les droits humains", souligne une sénatrice australienne : des personnes génétiquement ambiguës étaient "arbitrairement assignées à un genre", maintenant, ils ont le droit de se définir comme "indéterminés". "

Nature et culture sont indissociables, car l'homme n'est pas fractionnable, même si pour les besoins de l'observation, on se focalise plutôt sur un aspect puis un autre pour en étudier des caractéristiques, mais la personne, elle, avec son substrat biologique, son capital éducatif, la culture qui la façonne ( dont la religion fait partie), ses fantasmes, l'ensemble de ses composantes psychologiques qui traduisent sa personnalité, va générer une orientation sexuelle, subtile alchimie entre ces registres. Orientation le plus souvent stable mais qui parfois, évolue dans la vie d'un homme.

 

La personne et la question du désir

           Eric Fassin, sociologue et Catherine Vidal, neuro-biologiste nous rappellent dans l'émission de La tête au carré du 19 septembre 2011, les grandes avancées -toujours provisoires- du fonctionnement du cerveau, exploré depuis 20 ans par l'imagerie médicale et les confirmations de l'extraordinaire plasticité du cerveau. Avec elle, des chercheurs évaluent à 10% seulement les connexions du cerveau existantes à la naissance. Les acquis, l'éveil du bébé, l'entourage affectif et intellectuel, les influences diverses au cours de la vie vont constituer les 90 % potentiels, sauf accident de parcours. Selon ces chercheurs, le cerveau se façonne en fonction du vécu et l'éducation permet l'intégration des normes sociales liées au sexe (vêtements, comportements, activités spécifiques, langage etc.), modifiant parfois la prégnance de l'empreinte génétique.

La manière de vivre son sexe est ainsi rendue dans sa complexité. Dans ces débats qui portent surtout sur la part du génétique et du social, il y a sans doute au niveau d'une personne et non plus au niveau des groupes et catégories, à donner toute sa place à la psyché, qui va broder ces registres, façonner le désir et faire d'une personne unique le lieu d'un mystère. Les psychologues et psychanalystes auraient à être plus présents dans ce débat scientifique où s'affirment essentiellement actuellement biologistes et sociologues.

 

Cette question a-t-elle sa place dans les manuels scolaires ou doit on courir le risque d'une réflexion barricadée ?

           On peut se demander aussi pourquoi cette polémique qui voile la science et arrive, non à la sortie des programmes (septembre 2010) mais actuellement, après l'édition des manuels? Dans un article co-signé dans le journal Le Monde du 17 septembre par 4 scientifiques des sciences dures et 4 de sciences humaines, les auteurs rappellent le danger de la mainmise du politique sur les recherches.

           On se souvient de l'interdiction de la biologie sous le régime communiste soviétique, sous prétexte que " tout était culturel et acquis " ; on se souvient de l'usage de théories scientifiques sur les races, démenties depuis longtemps, soit pour hiérarchiser les hommes, et justifier l'esclavage ou la domination, soit pour justifier l'élimination de certains peuples (nazisme).

Eric Fassin, sociologue, professeur agrégé à l'ENS ; Geneviève Fraisse, philosophe, directrice de recherche au CNRS ; Françoise Héritier, anthropologue, professeure au Collège de France ; Axel Kahn, généticien, président de l'université Paris-Descartes ; Gérard Noiriel, historien, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales ; Christine Petit, biologiste, professeure au Collège de France ; Louis-Georges Tin, littérature française, maître de conférences à l'université d'Orléans ; Catherine Vidal, neurobiologiste, membre du conseil scientifique de l'Institut Emilie du Châtelet.

 

           Au nom de quoi les politiques ont-ils à dire ce qui est scientifique ou pas ? Certes, il est légitime que les politiques se préoccupent des conséquences des découvertes scientifiques mais l'indépendance du chercheur est la meilleure garantie d'objectivité des résultats.

           On sait l'usage modéré que les enseignants font des manuels et la liberté qu'ils prennent à leur égard, mais aussi leur sens des responsabilités pour en faire un levier pour l'acquisition des savoirs, et aussi pour permettre à des jeunes d'être acteurs dans le monde qu'ils ont à construire. Ces informations dans les manuels scolaires de SVT, ébranlent elles l'ordre du monde ? Certains tolèreraient que ces sujets soient abordés en cours de philosophie ou en instruction civique, mais non dans un ouvrage scientifique. Là aussi, pouvons nous rappeler que l'élève est un tout et que l'inviter à réfléchir à l'occasion d'une information scientifique, c'est lui donner l'occasion à travers les questions écologiques en géographie ou en SVT, à travers les interrogations qui posent la responsabilité des peuples en histoire, à travers les prises de conscience qui ouvrent à l'art et ses engagements, ou au travers de l'enseignement des faits religieux qui peut interpeller les élèves sur le sens que les hommes tentent de donner à leur vie depuis les origines, de s'inscrire dans la complexité de l'humanitude chère à Edgar Morin ?

Non, l'homme n'est pas un mammifère comme les autres.

Voir aussi sur ce site:

Mâle/femelle - masculin/féminin - homme/femme? par J.N

Quel genre de femme ou d'homme êtes-vous ?(À propos d'une polémique)  par Didier Martz

Cerveau féminin / Cerveau masculin par Serge Ginger

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur