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L'école et les familles

face aux problèmes des jeunes

 Jeanne Moll

Extrait d'une conférence donnée à Troyes en 2003 mais hélas toujours d'actualité!     

 

            Au travers de ce thème, les adultes que nous sommes sont interpellés en tant qu'éducateurs, il en va de nos attitudes et de nos actes à l'égard de la jeune génération et des problèmes qu'elle rencontre diversement à l'époque bouleversée qui est la nôtre ..Aussi aurons-nous à nous interroger sur les besoins psychiques, les attentes des adolescents, mais aussi sur la réalité psychosociale forcément plurielle et complexe à laquelle ils sont confrontés. Il nous faudra imaginer comment l'école et la famille peuvent coopérer pour fournir aux jeunes de meilleures conditions pour apprendre d'une part et pour grandir, d'autre part.

 

           Les aider à grandir et à passer lé cap de l'adolescence pour devenir des citoyens éclairés, autonomes, responsables et solidaires. C'est bien cela que nous envisageons quand nous disons vouloir faire évoluer et dynamiser les relations école-parents dans l'établissement. Nous souhaitons tous ensemble qu'il y ait moins de dysfonctionnements, moins d'absentéisme, moins d'échecs scolaires, moins de stress et de violence dans les rapports interpersonnels et interprofessionnels, pour que les enseignants puissent mieux remplir leur mission d'enseignement et d'éducation, au service des jeunes, et avec l'appui des parents. Car il s'agit bien de refonder l'école, de la transformer en une véritable communauté éducative où chaque élève aurait une place parce qu'il serait reconnu comme un sujet en devenir et encouragé à trouver du sens à apprendre et à vivre avec les autres. Affirmer cela, c'est nous situer dans une visée éthique, autrement dit dans un questionnement sur le sens de ce que nous faisons en tant que professionnels au sein d'une institution.

 

           Pour mieux avancer sur cette voie, je vous propose un cheminement de pensée tel que nous nous y entraînons dans les groupes de Soutien au Soutien - ce sont des groupes interdisciplinaires d'analyse de pratiques relationnelles fondés par le psychanalyste Jacques Lévine il y a dix ans - . Le premier temps est celui du dire des insatisfactions dans une situation précise, je montrerai donc en quoi les rapports école- famille laissent trop souvent à désirer. Avant de chercher comment les améliorer, nous essaierons lors du deuxième temps, de comprendre ensemble d'où viennent les difficultés, comment les uns et les autres, enseignants, administrateurs et parents sont impliqués subjectivement, la plupart du temps sans le savoir, dans des situations nouées Pour ce faire, et en arriver à une perspective de compréhension élargie, nous tenterons d'imaginer ce que ressentent et vivent les différents partenaires. Après ce travail de recherche d'intelligibilité, de changement de regard - un temps essentiel - , nous chercherons des leviers de changement, des remediations possibles en n'oubliant pas d'aller voir du côté de ce qui se pratique déjà dans un certain nombre de collèges et de lycées innovants, du côté d'une collaboration école- familles.

 

Les insatisfactions dans les rapports actuels école-familles dans collèges et lycées

            Il est difficile de parler en général de ces rapports car ils varient beaucoup d'un établissement à l'autre, selon les lieux d'implantation et la population scolaire, et surtout selon le volontarisme et la politique éducative du chef d'établissement et l'investissement de l'équipe éducative. Qu'en est-il cependant des plaintes des uns et des autres dans des collèges ordinaires, tels par exemple que les décrit Mara Goyet dans son livre ('collèges de France (Fayard, 2003) et tels que j'en ai recueilli quelques témoignages qui corroborent ceux qu'on trouve dans la presse?

           Beaucoup d'enseignants fustigent ce qu'ils appellent la perte d'autorité des parents, leur démission éducative, le fait qu'ils ne se positionnent pas en tant qu'adultes face à des enfants, ce qui conduit à une forme d'acculturation des jeunes; d'autres s'en prennent à leur attitude de « consommateurs agressifs » travers de leurs revendications pédagogiques qu'ils jugent déplacées. « Nous traitant souvent comme ils n'oseraient traiter leur baby-sitter ou leur bonne s'ils en avaient une, bien conscients que ce sont leurs impôts qui nous financent ( les élèves aiment à nous le rappeler) écrit Mara Goyet (p. 196), ils nous considèrent tout naturellement comme leurs employés et commencent toutes leurs phrases par « Vous êtes payé pour... ». Selon certains professeurs, beaucoup de parents nourriraient une sorte de pensée magique, croyant qu'il suffit d'être au collège pour réussir. Des enseignants regrettent souvent que l'administration soit trop complaisante à l'égard des parents, ils se sentent comme trahis, voire abandonnés par leur autorité de tutelle qui ne leur ferait pas confiance.

 

           Quant aux parents qui s'expriment, ils sont un certain nombre à ne pas apprécier la condescendance des enseignants tellement prompts à juger leurs enfants et leurs familles. Ils critiquent le manque fréquent de transparence et de dialogue, la mauvaise répartition des enfants dans les classes.

           On a vraiment l'impression, à entendre les récriminations des uns et des autres, de fronts qui se font face, de camps ennemis constamment sur le qui-vive et toujours enclins à s'accuser mutuellement, à se faire la guerre par élèves interposés. Certes, les élèves qui sont ici au centre des débats sont essentiellement les élèves en échec, ceux dont l'avenir scolaire est plus ou moins compromis et qui ont pris l'école en horreur.

 

Pourquoi cette hostilité des partis en présence, et cette haine parfois dont les élèves font les frais ?

           C'est qu'ils constituent, eux, un enjeu considérable.

           Nous le savons tous, les enfants sont pour tous les parents ce qu'ils ont de plus précieux, surtout quand la vie ne les a pas gâtés par ailleurs. Nous investissons beaucoup sur notre descendance qui nous complète narcissiquement dans l'imaginaire, sur qui nous projetons notre propre désir de réussite , Quand celle-ci est au rendez-vous, quand tout se passe bien à l'école, la fierté des enfants augmente la nôtre et les rapports parents/enseignants sont généralement sans histoire. Mais lorsque des difficultés commencent â être pointées par des enseignants qui souvent « convoquent » les parents pour leur en parier, ces derniers en éprouvent de la honte car l'échec de leurs enfants les renvoie à leur propre échec scolaire ou, pis, à l'échec d'une vie que la venue de leur enfant devait racheter. C'est une blessure narcissique profonde dont on ne mesure sans doute pas assez la gravité et qu'on ne sait guère prendre en compte.

           L'angoisse des parents face à l'école est réelle, surtout au moment de l'acquisition de la lecture et de l'écriture, puis lors du passage en sixième dans un collège dont parfois la réputation fait peur, et puis surtout quand il est question d'orientation. Pour se défendre d'une inquiétude qui concerne l'avenir incertain de leur enfant dans la societe, certains parents ne cessent de dénigrer l'institution scolaire et d'accuser les professeurs d'incompétence. Quant aux parents démunis socialement et culturellement, leur sentiment d'impuissance est tel, face aux parcours scolaires dont ils ne comprennent pas les arcanes, face à l'échec scolaire qui renforce leur sentiment d'exclusion sociale, qu'ils se replient sur eux-mêmes et ne se manifestent plus ils font les morts et abandonnent plus ou moins leurs enfants à leur sort.

 

           Du côté des professeurs, dont nous savons que beaucoup s'investissent admirablement au service de leurs élèves, y compris les plus démunis, on ne peut négliger le fait que trop d'entre eux ne sont pas préparés à rencontrer des élèves qui résistent à leur vouloir, qui les déstabilisent par leur refus d'apprendre et leurs attitudes inconvenantes, et qui, par là, les interpellent au plus profond d'eux-mêmes. Blessés dans leur narcissisme, ces enseignants réagissent le plus souvent de façon inadaptée, en blessant à leur tour et en rejetant ceux qu'ils considèrent comme de « mauvais objets », indignes de la sollicitude des éducateurs Effectivement, certains professeurs n'ont pas appris à considérer les élèves comme des sujets en devenir ni à imaginer que leurs difficultés ne sont pas irrémédiables ; ils rejettent la faute sur les parents, sur l'administration, sur la société en général mais ne mettent aucunement en cause leur propre façon de faire C'est aussi pour eux une manière de se défendre d'une réalité insupportable car ne répondant pas du tout au besoin de considération qui habite tout humain ; surtout, leur déconvenue les fait tomber de haut, ils voient détruits les rêves d'omnipotence infantile et d'emprise sur l'autre qui, s'ils n'ont pas été interrogés durant la formation, sommeillent en tout adulte qui dit avoir « choisi» de travailler avec des enfants et des jeunes.

 

           Ainsi la fierté blessée et l'amertume amènent beaucoup de parents et d'enseignants à camper dans des positions rigidifiées les uns à l'égard des autres , et ce, dés l'école élémentaire. Les jeunes font les frais de cette violence qui régit trop fréquemment les rapports actuels des adultes et qui entrave les conditions d'une croissance identitaire et cognitive suffisamment bonne des adolescents. Nous avons, nous enseignants, les premiers, à nous interroger sur l'origine de notre acrimonie à l'égard des parents puis à imaginer ce qu'ils ressentent, pour pouvoir aller au-devant d'eux, pour les rencontrer, sans les juger, nous avons à faire preuve d `empathie cognitive, à quitter une position de supériorité et d'affrontement stérile, pour que nous puissions répondre ensemble aux besoins psychiques des jeunes dont nous sommes conjointement responsables,

 

Que savons-nous de ce qui tourmente collégiens et lycéens, et indirectement leurs parents et leurs professeurs ?

           Nous avons trop tendance à oublier que les années du collège sont par excellence celles de l'adolescence. A la fois processus psychique et phénomène social, l'adolescence est un phénomène relativement récent , qui n'a fait son entrée au collège que depuis vingt-cinq ou trente ans. Auparavant, elle était mise entre parenthèses selon les termes du sociologue F. Dubet ; maintenant , elle s'affiche dans les établissements scolaires et les professeurs ne savent qu'en faire, désarçonnés qu'ils sont par beaucoup de jeunes pour qui l'école n'est pas un espace sacralisé - celui des savoirs - et qui ne font pas la différence entre la sphère publique et la sphère privée . Dans notre société ultralibérale, les professeurs comme les parents, ont de moins en moins de « prise » sur des jeunes qui leur « échappent » d'autant plus qu'ils vivent un temps de passage et de remaniements psychiques en même temps que de transformations physiques qui les déstabilisent . Etre adolescent, c'est se trouver dans un entre-deux de précarité, être en train de se séparer symboliquement des parents pour aller à la rencontre des autres, c'est quitter le monde de l'enfance pour rejoindre progressivement celui des grandes personnes qu'on envie et qu'on redoute à la fois . cela implique un travail psychique de deuil et de différenciation qui met en cause le narcissisme du jeune en train de s'individuer et dont les angoisses, réactivées par les pulsions archaïques, sont multiformes

           De la vulnérabilité, de la conffictualité des jeunes écartelés entre la nostalgie du passé des rêves d'avenir, entre la dépendance et l'indépendance, entre l'imaginaire et le réel, les enseignants sont peu informés, d'où leur désarroi à l'égard des élèves qui « disjonctent », qui sont toujours « ailleurs » et que leur corps semble dominer. Le désarroi des parents, dont les attentes par rapport à l'école sont énormes, n'est pas moins profond, ni leurs peurs, car ils se trouvent inconsciemment renvoyés à leur propre adolescence qu'ils ont plus ou moins refoulée. Leurs peurs concernent l'échec scolaire, les « mauvaises fréquentations », le recours à la drogue et l'exercice de la sexualité. N'est-ce pas pour cela qu'ils « mettent la pression » sur leurs enfants et ont pour eux une exigence impérieuse de réussite, espérant les mettre ainsi a l'abri des dangers qui les menacent ? En effet, l'esprit du temps et une société de plus en plus libérale sur le plan des moeurs. exercent une influence considérable sur les jeunes et surtout sans doute sur ceux qui ne trouvent pas leur place au collège, qui n'y viennent pas pour apprendre mais pour trouver un succédané de famille et se prouver qu'ils existent au milieu de leurs pairs. Ne l'oublions pas, le besoin d'être reconnu, d'être écouté traverse tout être humain, de la naissance à la mort, et en particulier à l'adolescence, cette période d'extrême fragilité identitaire et de quête de sens que les adultes éducateurs prennent si peu en compte et dont je pense que c'est la vraie raison qui vaut au collège d'être défini comme « le maillon faible » du système éducatif

 

           C'est autour de cette problématique centrale que l'école et les familles doivent se rencontrer pour soutenir les adolescents dans une période difficile de leur vie, qui plus est, à une époque hors de ses gonds , il s'agit de les aider à se construire intellectuellement, affectivement, socialement, et ce, malgré — voire contre - le chant des sirènes qui détermine grandement notre environnement socio-économique et culturel où prévalent la marchandisation des savoirs et l'instrumentalisation des humains. Enseigner, c'est résister, titrait un livre paru il y a une trentaine d'années !

           Quelques mots encore sur la sexualité pendant les années-collège, titre du hors-série de la revue L 'école des parents de mars 2002. Selon les termes du sociologue Gérard Nayraud," les médias offrent aux ados une sexualité adulte, dégagée de l'affectif, qui ne répond pas à leurs interrogations sur le sujet ". La société du spectacle qui s'affiche, la sexualisation grandissante du discours publicitaire, le fait que le sexuel devienne un référentiel explicite proposé à la consommation médiatique manifestent que « nous ne sommes pas dans le registre de la rencontre, mais dans celui de la performance» (P. Baudry) .

           A une époque de leur vie où les jeunes cherchent à comprendre ce qui leur arrive, physiquement et psychiquement, ils ne trouvent pas de réponses à leurs questions angoissantes quant à leur propre valeur et au sens de leur vie. Ils ne trouvent guère d'adultes non plus ayant du temps à leur consacrer. De plus, dans les quartiers pauvres où les jeunes sont livrés eux-mêmes, dans une sorte de no man's land culturel, prévaut ce que l'ethnologue Jacques Barrou appelle la « culture virile » ; l'expression de la sexualité y est souvent régressive ( pensons à l'odieuse pratique des « tournantes ») , garçons et filles étant souvent élevés différemment, la mixité ne va pas de soi, le manque d'habitude de relations proches avec des gens de l'autre sexe induit le machisme et des attitudes agressives ainsi qu'une incapacité à. l'approche séductrice, d'où l'ambiance de violence dans les quartiers.

           Le collège est le seul lieu de mixité, mais pour les jeunes en échec des cités qui ne peuvent se projeter dans l'avenir, c'est une marque de virilité que de le mépriser et de le rejeter en tant que lieu des filles, d'où les tensions entre les sexes. Il n'est guère étonnant dans ces conditions que beaucoup de jeunes ainsi déstabilisés, désorientés mais aussi en quête d'interdits, se détournent de tout apprentissage et jouent avec les limites, avec le risque, autrement dit avec la mort et inquiètent sérieusement leurs parents et leurs enseignants qui se sentent débordés, impuissants. Au lieu de jeter la pierre aux jeunes et à leurs parents, dans un contexte socioéconomique inquiétant, ne convient-il pas plutôt d'essayer de comprendre ce qui les anime intérieurement, de changer de regard sur eux, d'imaginer ce qu'ils ressentent , comme je le disais déjà , pour aller à leur rencontre et travailler de concert avec eux?

 

Voir: Comment aider les jeunes à apprendre et à grandir par Jeanne Moll
 

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