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Aux origines de la démarche clinique... 

Martine Lani-Bayle

 

  « La clinique n'est pas un bagage supplémentaire d'outils de recherche. C'est une éthique de la recherche, une éthique de construction du savoir et de sa transmission. »

MIREILLE CIFALI

 

PARMI LES MÉTHODOLOGIES qualitatives et se pratiquant en sciences de l'éducation via l'entretien ou l'observation, la démarche clinique, au-delà d'une méthodologie au sens classique du terme, est avant tout une façon de pratiquer et penser la recherche autant que la formation bousculant, voire renversant, les attitudes classiques.[...]

 

DES FILIATIONS ET DE LA DIFFUSION DU «CLINIQUE»

Apparu en médecine dans un objectif de diagnostic1, cet adjectif a été associé à une psychologie compréhensive proche de la personne, dès 1896, aux Etats-Unis par Witmer, pour réagir contre le quantitativisme alors majoritaire. Il a été repris par Jean Piaget en 1926 pour caractériser les entretiens de recherche qu'il menait (appelés aussi « entretiens critiques »). Puis l'association de « psychologie clinique » a été reprise officiellement vers 1945-1949, par Daniel Lagache et Juliette Favez-Boutonnier, pour qualifier une forme de psychologie qualitative, et afin de l'autonomiser par rapport tant à la médecine qu'à la psychologie expérimentale et à la psychanalyse. Cette expression a été largement retenue, ce qui fait que l'adjectif clinique reste quasi-systématiquement associé à une démarche à objectif thérapeutique et à la psychologie – ce qui est non seulement réducteur, mais inexact.

(1) Kline signifie « au chevet » et évoque l'attitude du médecin qui a besoin, non seulement d'observer ou de palper le malade, mais de l'écouter (sur l'origine et le ressenti des malaises, leur contexte...) afin de procéder au diagnostic : il y a pour cela, en effet, nécessité de croisement, par le biais du langage, entre les savoirs médicaux distanciés et les savoirs de vie incarnés. Cette co-construction s'élabore sans position surplombante des premiers sur les seconds, mais avec des positions différenciées, afin de produire une troisième sorte de savoirs qu'aucun – le malade mais aussi le médecin – ne pourrait construire seul et sans tenir compte de ce que l'autre sait.
Pourtant dans les années 1980, rompant avec cette quasi-hégémonie d'alors avec la psychologie, la dimension clinique a été reliée à la sociologie avec Vincent de Gaulejac; puis aux sciences de l'éducation comme nous le verrons ici avec Mireille Cifali en Suisse, Jacques Ardoino ainsi que l'équipe de Claudine Blanchard-Laville et Jacky Beillerot à Paris X-Nanterre, celle de Michel Vial et Chantal Eymard (université de Provence), à Nantes où j'ai réussi à introduire un axe d'enseignement et de recherche intitulé « clinique de l'éducation et de la formation ». Plus récemment, elle est entrée dans certains IUFM en formation d'enseignants. Mais, quoique transversale par définition, la démarche clinique reste majoritairement fixée sur une orientation de lecture psychanalytique, sauf par exemple à l'université de Nantes où, ne pouvant travailler avec des psychanalystes, je tente de mettre en oeuvre une clinique tout court.

Notons enfin que de plus en plus, le qualificatif de clinique est adopté par d'autres secteurs disciplinaires qui l'ignoraient précédemment (linguistique, littérature et poésie, travail, voire politique, etc.).

 

DES SPÉCIFICITÉS DE TOUTE DÉMARCHE CLINIQUE

 Il s'agit à la base d'une forme d'écoute attentive impliquée et impliquante qui vise à la formation d'un savoir nouveau à la faveur d'une relation dialoguante et questionnante entre deux ou plusieurs personnes. Un savoir issu d'un mouvement de conscientisation partagée et qui serait différent dans toute autre circonstance. Un savoir où chacun a besoin de l'autre pour sortir d'un état d'ignorance relative, un savoir qui n'aurait pu s'élaborer chacun de son côté et dont la constitution est l'objectif de la mise en place de cet échange. D'où le lien incontournable entre les démarches cliniques de formation et de recherche, chaque recherche réalisée à partir d'entretiens cliniques se révélant potentiellement formatrice, pour les protagonistes de la relation discursive : toute relation de formation clinique produisant des savoirs nouveaux, elle peut dès lors servir la recherche.

Les entretiens cliniques réalisés dans un objectif premier de recherche sont destinés à mettre en mots et comprendre une expérience vécue. Ils incitent pour cela à un dialogue cognitif et réflexif, faussement assimilé à un entretien non-directif. Le narrataire travaille son implication dans l'écoute, il effectue sa recherche non pas sur, mais avec les narrateurs, qui restent propriétaires de ce qu'ils ont produit en situation et peuvent être interpellés aussi sur ce qui est fait par le chercheur de ce qu'ils ont donné. Ainsi, et quel que soit leur âge ou leur niveau socioculturel, ils sont considérés non seulement comme des sujets agissants et parlants, mais aussi pensants : capables de penser la recherche faite avec eux. Celle-ci s'attachera à comprendre leur particularité, au regard de la situation étudiée, pour l'inscrire dans la singularité de leur groupe d'appartenance (Marcuse, 1932). C'est donc une posture de recherche spécifique, qui part d'une écoute du terrain à partir d'inductions intuitives et en fait remonter des hypothèses. Des recherches qui ne visent pas à « prouver » mais qui « éprouvent » des possibles en situation vécue.

Selon la variété des objectifs du travail attendu, différentes modalités de lecture (et non «d' interprétation ») pourront être utilisées. Notons que les démarches de récits (Daniel Bertaux) et histoires de vie (autour de Gaston Pineau) sont une illustration, déployée dans le temps et la globalité de la personne, de modalités d'entretiens cliniques.

— En formation, la démarche clinique est particulièrement intéressante dans la mesure où elle est au plus proche du vécu des situations étudiées (elle sert donc la professionnalisation) et se montre en soi productrice de savoirs. Elle est également adaptable dans l'enseignement, dès les tout premiers niveaux. Il arrive même qu'elle y prenne place spontanément, par moments, sans être toujours pensée ni nommée ainsi. Très exigeante car sensible, elle présente de nombreuses limites, notamment sonore, quand le groupe d'apprenants est nombreux, son vecteur privilégié étant l'échange de paroles ; limites également du fait de son imprévisibilité (elle est la hantise de tout « plan de cours »). Par ailleurs en tant que démarche pédagogique ouverte et accueillante, si elle a tendance à renforcer et valoriser la personne dans son estime propre, elle peut tout autant se montrer propice au réveil des failles des plus fragiles et nécessite à ce titre vigilance et contenance.

 

DES USAGES DE DÉMARCHES CLINIQUES EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION

 

Ils se répartissent dans le cadre de la recherche, de la formation comme de l'intervention — aspect le moins développé mais néanmoins présent dans notre secteur disciplinaire où en majorité on l'a vu, les entrées cliniques se font dans le cadre d'une orientation psychanalytique. Ceci occasionne des réserves qui ne sont pas toujours prises en compte, la psychanalyse ne faisant pas partie directement de nos pratiques et se contentant mal d'un simple accès théorique et académique ; cela nécessite aussi, alors, des précautions particulières et des supervisions d'équipe jointes à un travail interdisciplinaire (toujours très exigeant à réaliser) avec des analystes.

— En recherche : d'application très délicate malgré (ou à cause de) une apparence de facilité, la démarche clinique, par observation et/ou entretiens, si elle se montre particulièrement heuristique (encore plus quand elle est croisée à d'autres méthodologies), est d'un usage difficile (elle s'invente à mesure qu'elle se déroule) et demande de faire avec le temps et l'expérience. Les travaux qui s'y réfèrent, étudiant un nombre de situations limité, voire unique, ont du mal à conquérir une crédibilité « scientifique » auprès de ceux qui bornent celle-ci à des critères privilégiant le nombre ou la représentativité statistique. [...]

 

– La clinique ne s'intéresse pas qu'à la recherche, elle présente aussi une fonction en formation. Car le dire forme celui qui s'exprime en donnant forme à un savoir implicite (cf. Vermersch par exemple). À ce titre, sa fonction peut apparaître fondamentale dans les [formations d'enceignants] par exemple. « Que faire des sentiments dans un métier? Comment oeuvrer avec les passions négatives ? Comment agir humainement dans des milieux qui tendent à se dés-humaniser? Comment maintenir un souci de l'autre aux prises avec des normes qui risquent de l'exclure? », questionne Mireille Cifali. Pour autant, la démarche, rappelle-t-elle, n'est pas spécifiée pour traiter de la souffrance, elle n'est pas à l'oeuvre dans nos disciplines pour soigner, mais simplement pour traiter de la difficulté normale que toute situation vécue entraîne.

Ainsi, tout comme les «histoires de vie » inventées par des sociologues (école de Chicago) dans un objectif de recherche se sont révélées efficientes en termes de formation (plus précisément d'autoformation, cf. Gaston Pineau), la démarche clinique, apparue dans un objectif de diagnostic (médecine), puis de recherche (Jean Piaget), s'est montrée porteuse d'intérêt en termes de formation de la personne. Reprise en formation d'enseignants dans quelques pôles (dans le Nord essentiellement, cf Connexions 75), elle est aussi investie dans le cadre de la formation continue des enseignants ou autres professionnels des « métiers de l'humain » (Mireille Cifali), sous forme de groupes de parole, type Balint par exemple (équipes de Claudine Blanchard-Laville, Jacques Nimier, Jacques Lévine et Cécile Delannoy...).

 

Elle apparaît également dans des perspectives d'enseignement, notamment auprès d'enfants (ex.: recherches « Raconter pour apprendre » à l'université de Nantes ; cf aussi « Prendre la parole, apprendre la parole, apprendre par la parole », CRAP Saint-Nazaire, juillet 2000 ou « Faut-il parler pour apprendre », Arras, mars 2004). La parole, et donc l'écoute clinique, seraient-elles nécessaires à l'apprentissage et alors que dans la scolarisation traditionnelle, un bon élève reste un élève muet, ou ne parlant que sur commande pour servir une (bonne) réponse attendue?

 

La clinique apparaît donc comme un défi dans le champ de l'éducation ou de la formation comme de la recherche. Défi par rapport aux habitudes ancrées, défi en termes de compréhension des objectifs.

 

Extraits de l'article: "Aux sources de la démarche clinique..." de Martine Lani-Bayle dans le "n°10 de la revue "Chemin de formation"

 Le site de Lani-Bayle:

www.lanibayle.com

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