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Idéal du professeur, réalité du groupe

Catherine Yelnik

             Le projet de devenir enseignant s'étaye souvent sur des souvenirs d'enseignants idéalisés auxquels on voudrait ressembler ou, au contraire, qu'on a haïs, qui nous ont fait souffrir et par rapport auxquels on cherche une réparation. Devenir professeur signifie imaginairement être aimé et admiré, comme un maître ou une maîtresse qu'on a aimé-e et admiré-e, vers qui convergent les regards ; c'est être celui-celle qui sait, qui donne envie d'apprendre, comme un professeur a fait découvrir et aimer une discipline, un auteur, … Ce désir s'enracine souvent dans l'expérience de l'enfant qui se vit petit, impuissant, dominé par les " grands ", dépendant d'eux et rêve d'être grand à son tour, pour pouvoir " commander " comme il a été commandé, être le maître, " tout-puissant " comme il imagine que les adultes l'étaient.

             Ce désir de prendre la place des parents ou d'autres figure parentales peut être ressenti comme agressif et s'accompagner de culpabilité. Le réaliser ne se justifie que d'être " parfait ", sans failles, ce qui implique d'exclure de soi la négativité, sa propre violence, son désir d'emprise…. On aime les enfants, on ne veut que leur bien.

             L'image idéalisée de certains enseignants constitue une référence à l'aune de laquelle le professeur se mesure. Cet idéal du Moi professionnel appelle, de manière complémentaire, une image de l'élève idéal, désireux d'apprendre, demandeur, confiant, docile, admiratif... Comme dans une sorte de miroir, le professeur cherche, dans les attitudes des élèves à son égard, à être conforté, rassuré sur l'image qu'il donne de lui-même.

             Dans la réalité de la situation d'enseignement, les élèves réels, en tant qu'individus, correspondent rarement à cet l'élève idéal, pour de multiples raisons, liées à leurs caractéristiques psychologiques, leur éducation familiale, leur origine sociale, leur culture, leur parcours scolaire… Ils subissent la situation scolaire et leur désir d'apprendre ce qu'on leur enseigne n'est pas acquis d'emblée. Qui plus est, ils sont en groupe. Bien qu'à peu près du même âge, ils sont tous différents. Leur inévitable hétérogénéité renvoie une image fragmentée qui s'oppose à la recherche d'une image unifiée de soi, ce qui peut expliquer la tendance à concevoir la relation pédagogique comme duelle (professeur/élève).

 

La relation pédagogique

             Le professeur est seul face à un nombre d'enfants ou d'adolescents ; même si cette situation a été désirée (être " seul maître à bord "...), le groupe est ressenti comme une force dangereuse. En témoignent des expressions telles que " cage aux lions ", " masse ", " magma ", " meute " qui évoquent le chaos, le désordre et la sauvagerie.

             Car tout groupe est en lui-même source d'angoisse. Quelle que soit sa raison d'être, la co-présence d'un ensemble de personnes dans un même lieu, pendant un temps assez long, fait naître entre elles des processus " socio-affectifs ", émotionnels, des mouvements psychiques de liaison ou de déliaison, qui provoquent des résonances en chacun. La situation groupale éveille des " angoisses archaïques ", notamment celle de perdre son unité physique et psychique. Le groupe est ressenti par chacun de ses membres comme un miroir à multiples facettes lui renvoyant une image de lui-même déformée et morcelée.

 

La communication dans les groupes

             Dans les classes comme dans tous les groupes, il y a, non seulement des communications d'ordre rationnel, liées à la tâche (" informations " sur les contenus de savoirs et l'organisation du travail), mais d'autres liées aux relations, à la " structure socio-affective".

             Inévitablement, les communications entre élèves, verbales ou non, bruyantes ou silencieuses, forment un réseau de lignes entremêlées, partant de chaque membre vers tous les autres qui véhiculent des émotions et des fantasmes positifs ou négatifs, ayant pour objets les autres, la tâche, la situation elle-même, le professeur. De plus, les groupes dans le cadre scolaire ont ceci de particulier qu'ils mettent en présence un adulte et des enfants/adolescents, avec des enjeux de savoir.

             La relation professeur-élèves est une relation éducative, intergénérationnelle, dans une certaine mesure analogue à celle de la famille. Or, dans l'école comme dans la famille, le processus éducatif implique d'exercer des contraintes, d'imposer, de diriger, d'évaluer, de sanctionner. Enfants et adolescents vivent des frustrations, parfois des humiliations et des injustices, dans tous les cas, des limites à leurs désirs, à leur recherche de satisfactions immédiates, à leur égocentrisme et leur toute-puissance. Ils ne sont pas tous également capables de contrôler leurs mouvements pulsionnels et de supporter la frustration ; ils résistent à l'inculcation, aux contraintes inhérentes à la situation scolaire, avec plus ou moins d'agressivité, voire de violence.

             Du fait de son statut, le professeur incarne, aux yeux des élèves, une " imago parentale ". Parce qu'il entrave la réalisation des désirs et inflige des blessures narcissiques, comme les parents, il est l'objet de sentiments positifs et négatifs, d'amour et haine. Les relations éducatives et pédagogiques sont toujours conflictuelles.

             Le professeur, quant à lui, peut se sentir exclu par les communications " latérales " entre élèves, dont il n'est pas le centre. Celles-ci sont généralement considérées comme incompatibles avec la transmission du savoir et n'ayant pas lieu d'être dans l'espace pédagogique. Le groupe est plutôt perçu comme source d'obstacles au processus enseigner-apprendre ; il semble inconcevable que les élèves puissent apprendre les uns des autres, et non seulement de la bouche du maître.

             Les manifestations de résistance, d'opposition, de manque d'investissement de la part des élèves, qui entravent le pouvoir du professeur, suscitent également chez lui/elle des sentiments négatifs : frustration, colère, hostilité, voire violence (envie de hurler, de frapper, de jeter dehors). L'émergence de ceux-ci, dont il/elle se voulait exempt-e, viennent contrarier l'idéal et démentir le fantasme selon lequel la perfection, l'infaillibilité lui épargnerait d'être l'objet de tels mouvements négatifs de la part des élèves. Leurs manifestations signifient qu'il/elle n'est pas à la hauteur de cet idéal et les mérite, tout comme, enfant, il/elle a considéré que les adultes étaient seuls responsables de sa propre agressivité.

             La manière dont le professeur investit son rôle, ses relations avec ses élèves mettent en jeu différentes composantes personnelles, conscientes et inconscientes, son rapport aux autres et au monde.

 

             Il semble que les dimensions groupales des situations d'enseignement, plus particulièrement, parce qu'elles font vivre l'altérité, l'irréductibilité de l'autre et des autres, qu'elles mettent en présence de la vie affective et pulsionnelle, entrent en résonance avec certaines configurations psychiques (désirs et mécanismes de défense) et cristallisent des enjeux narcissiques. Ainsi peut-on comprendre qu'il soit si peu investi, et même impensé, dans l'enseignement.

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Commentaire

Réaction

<<Je pense que le professeur doit gagner la conscience et meme un peut l'inconscience de l'eleve.>>

<<Ce que l'on peut lire entre les lignes c'est que le rôle de l'enseignant varie entre père, mère (au primaire et début du collège), ami, camarade et parent (collège et lycée)et ami et conseiller au supérieur . L'enseignant doit être conscient (objet de la formation ) de ces rôles que les élèves et étudiants lui attribuent sans en être conscients (plusieurs facteurs sont mis en jeu) Je ne sais pas qu'est ce que vous en pensez?>>

Thèse soutenue le 15 décembre 2003 à l'université Paris X Nanterre par Catherine Yelnik
Présentation
Fantasmatiques, scénarios inconscients dans le rapport au groupe
Un entretien avec Antoine
Le groupe, " chaînon manquant "
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