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Une histoire des origines

des groupes d'analyse des pratiques

(1922-1995)  

 

Avec l'autorisation de la "Nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation" je présente ici le dernier article que j'ai publié dans le numéro spéciale sur les GAPP de cette revue

              L'origine des groupes d'analyse des pratiques

             Deux questions se sont posées aux initiateurs et de leurs réponses dépendaient, bien sûr, les orientations qui ont été prises au cours du temps.

             Ces questions restent d'actualité :

1) Comment former des spécialistes capables de s'occuper des questions relatives aux relations humaines ?

2) Paradoxalement, comment pouvoir se passer de ces spécialistes quand la demande devient trop importante et qu'on n'en trouve pas suffisamment pour animer les groupes qui en ont fait la demande.

 

L'influence de Freud

             Pour moi, l'origine des GAP remonte à Freud et à la question de savoir comment transmettre la psychanalyse. Dès le début il a affirmé que la psychanalyse ne pouvait pas s'enseigner à l'Université comme les autres disciplines car elle demandait d'avoir vécu soi-même une analyse. C'est une véritable coupure épistémologique dans la façon d'appréhender l'enseignement d'une discipline ou la transmission d'un savoir.

             Encore de nos jours on a peine à la concevoir et elle intervient dans les représentations actuelles de l'enseignement et des Groupes d'Analyse des Pratiques.

             Freud institue pour résoudre ce problème une " psychanalyse de contrôle " où l'analyste novice peut travailler sur l'analyse de sa pratique avec ses premiers clients. Cette analyse de contrôle est menée par les premiers analystes. Elle s'institutionnalise en 1922 et devient un élément fondamental de la reconnaissance définitive.

 << Ainsi, dans les années 1930, au moment où la psychanalyse connaît une expansion mondiale, les principes qui président à sa transmission sont solidement établis. La formation des thérapeutes est assurée par des instituts privés, autant en raison des résistances des universités que de la spécificité reconnue d'une telle formation. Résolument orientée vers la pratique, même si elle comporte une part importante d'enseignements théoriques, elle exige du candidat analyste qu'il ait exploré et éprouvé les mécanismes psychiques et les caractéristiques de sa personnalité à travers une analyse personnelle, qualifiée de didactique en raison de ses visées formatives. Cette exigence poursuit deux objectifs :

- Que le candidat ait une expérience vécue et concrète des processus inconscients et des modalités pratiques de la cure.

- Qu'il puisse connaître et maîtriser les aspects de son propre fonctionnement impliqué dans la relation et le travail thérapeutique (ce qui est désigné par la notion de contre-transfert).>>

             Dès cette époque, les objectifs de ce " contrôle " suscitent de nombreuses controverses : S'agit-il d'un contrôle du candidat dans ses analyses, est-ce un apprentissage méthodologique, est-ce un travail sur son contre-transfert ? Ces controverses continuent toujours: les GAP doivent-ils participer à une formation méthodologique au métier d'enseignant ou à l'analyse des transferts des élèves sur l'enseignant ou du contre transfert de ce dernier… ?

             Le terme de contrôle sera du reste abandonné en faveur de celui de " supervision " moins connoté, vers les années 1968. Et à cette époque on a introduit également la " supervision collective " en réponse, déjà, au problème du manque de " superviseurs qualifiés ".

             Cette pratique s'est inspirée en partie de l'expérience des " groupes Balint ". II s'agit d'une méthode de supervision conçue par le psychanalyste Michaël Balint (fondateur de la Tavistock Clinic de Londres qui a joué un rôle important avec W. Bion dans l'usage du groupe en thérapie et en formation)

             Elle était destinée initialement aux médecins pour leur permettre d'analyser leurs relations aux patients et à la maladie (Balint, 1968) et a connu un très large succès.>> (voir ci contre)

             La supervision collective a l'avantage de laisser plus d'espace entre les participants et l'analyste superviseur. Elle apporte également des effets latéraux bénéfiques par des échanges entre participants et de ce fait elle est moins vécue comme un " contrôle " que comme une " aide ".

 

L'influence de Balint

 

             Quand on parle de Balint on pense en général à son travail avec des groupes de médecins mais on ne sait pas qu'il a fait d'autres expériences bien antérieurement. En 1955, en effet, est paru le livre " Social casework in marital problems " (traduit en français en 1959 sous le titre : " Problèmes du mariage "). Ce livre expose les recherches du " Family Discussion Bureau " issu entre autres du Tavistock Clinic auquel Balint appartenait ; il s'agissait à la fois d'étudier les problèmes qui se posaient aux couples après la guerre et de former des " caseworkers " capables de recevoir les couples pour les aider autrement qu'avec des conseils mais plutôt en tenant compte des recherches faites sur la dynamique inconsciente des couples.

<<Dans la première phase de la réalisation, l'équipe du Bureau se posa de nombreuses questions au sujet de l'utilisation des principes psychanalytiques. Dans quelle mesure des assistantes sociales qui n'avaient pas l'expérience d'une analyse personnelle, pouvaient-elles comprendre la motivation inconsciente et cela suffisamment pour mener à bien un travail où la relation avec le client est l'outil principal ? Comment pouvaient-elles apprendre à se connaître elles-mêmes et apprendre aussi à utiliser la conscience accrue non seulement des réactions émotionnelles de leurs clients mais aussi des leurs ? Les psychanalystes sauraient-ils adapter leurs méthodes de formation aux différents besoins des travailleurs sociaux ? Seraient-ils assez intéressés par ce travail et auraient-ils suffisamment confiance dans les résultats pour donner au projet, non seulement le soutien médical et professionnel nécessaire, mais aussi pour faire l'effort de comprendre son caractère particulier et ses limitations ?>>

1896-1970
             Ainsi, dès cette époque se posent non seulement la question de la possibilité de former des personnes, en nombre important, susceptibles de recevoir des petits groupes ( ou couples) pour étudier des problèmes relationnels qui tiendraient compte de l'inconscient , mais aussi celle de trouver des spécialistes (psychanalystes) capables de s'intéresser à cette formation " d'assistantes sociales " et d'y croire !

<<Lorsque, au début, les assistantes allèrent trouver le Dr Michael Balint pour lui demander de leur donner des notions sur les psycho-dynamiques de la famille, il répondit : " Pas de cours, mais discutons quelques cas. " C'est lui qui créa la méthode de discussion des cas ….Dès le début, on instaura des réunions hebdomadaires où se retrouvaient les assistantes et les consultants qui les aidaient à approfondir leur compréhension des relations humaines, non par une instruction théorique, mais en discutant les cas réels dont ils s'occupaient. Ensemble, assistantes et consultants essayèrent d'étudier le matériel vivant fourni par leur travail quotidien : les personnalités de ceux qui venaient au Bureau demander de l'aide et les difficultés qu'ils avaient rencontrées au cours de leur mariage.>>

 

             C'est là que se situent les prémices des GAP, réunions en petits groupes avec un ou plusieurs consultants, pour approfondir la connaissance des relations humaines, non par des cours théoriques mais par la discussion de cas réels apportés par les membres du groupe. C'est donc dès 1945 que la méthode a été, en pratique, initiée.

             En 1957 Michael Balint fait paraître à Londres son livre " The Doctor, His Patient and The Illness " (traduit pour la première fois en 1960 par les P.U.F. sous le titre " Le médecin, son malade et la maladie "). Il le présente comme une partie des résultats d'une recherche faite avec un groupe homogène comprenant quatorze omnipraticiens.

             On n'est plus là dans un essai de formation en grand nombre de caseworkers d'origines différentes mais dans un travail de recherche sur un groupe homogène de médecins. Il y expose sa méthode de travail et insiste tout particulièrement sur la formation à l'écoute au moyen de ce travail de groupe. Dans la préface à la deuxième édition (1963) il complète de la façon suivante :

<<L'aspect le plus important de ce développement, en ce qui concerne le domaine traité dans le présent ouvrage, est une appréciation quelque peu modifiée du rôle de l'omnipraticien dans le traitement. Alors que dans ce livre je m'étais essentiellement soucié de démontrer l'importance de l' " écoute ", en ce qu'elle diffère de l'anamnèse médicale classique, une recherche récente, effectuée principalement par ma femme et par moi-même, nous a amené à isoler et à définir deux autres aspects des tâches qui incombent au psychothérapeute, découvertes qui ne sont certes pas nouvelles. Il s'agit de la " compréhension ", et de l'" utilisation de la compréhension en vue d'un effet thérapeutique ". Ces trois aspects sont des phases successives d'un même processus : 1' " écoute " fournit le matériel qui s'organise ensuite en " compréhension " et il est évident que la compréhension doit précéder son utilisation..>>

 Arrivée en France des Groupes d'analyse des pratiques

             En 1961, autour du docteur Jean-G Lemaire, psychiatre et psychanalyste, puis Professeur de psychologie à Paris V, un petit groupe de praticiens de la santé et du travail social a ressenti la nécessité de répondre aux questions nouvelles posées par les difficultés psychologiques rencontrées par les familles et les couples. L'Association Française des Centres de Consultation Conjugale (AFCCC), reconnue d'Utilité Publique en 1968 et agréée comme organisme de formation en 1977, trouve son origine dans cette prise de conscience.

             Même problème que pour les caseworkers : comment former des " conseillers conjugaux " en grand nombre pour répondre à la demande à partir de personnes de bonne volonté (dont j'ai fait partie au départ de mon parcours psychologique !) mais dont la plupart n'ont aucune formation ? Sa réponse est de mettre en place des conférences théoriques et du travail de réflexion en petits groupes prolongé par un travail de " supervision " inspiré de Balint. En présence de psychanalystes, les participants exposent les cas qu'ils ont rencontrés pour essayer de comprendre quelque chose de la relation inconsciente qui s'est installée entre eux et leur client. Cette association existe toujours. et a une revue bien faite : "Dialogue".

 

Passage dans le milieu enseignant

             En 1973-1975 la méthode Balint, adaptée, est introduite dans le milieu enseignant grâce à Jacques Lévine qui créa la méthode du " Soutien au soutien ".

" L'évolution des structures familiales et sociales a généré, à l'intérieur du système scolaire, des processus de déstabilisation et de déliaison auxquels personne ne pouvait se prétendre préparé. Des obstacles entièrement nouveaux et encore mal identifiés perturbent le développement cognitif et relationnel des élèves et induisent chez les enseignants un doute sur leur capacité à éduquer. Entre la formation des enseignants et les problèmes à résoudre, l'écart est tel que des lieux de réflexion sont devenus indispensables. "

             Il s'agit, la plupart du temps, de groupes de 10 à 12 enseignants de même discipline qui se réunissent avec un psychanalyste hors de l'institution (les participants payent leur animateur).

" De ce fait, le Soutien au Soutien est un lieu de parole où peuvent se dire les blessures narcissiques du praticien et de l'élève; c'est un lieu d'intelligibilité de ce qui alimente les conduites qui font problème; c'est un lieu de recherche du modifiable sur le plan pédagogique et relationnel; c'est un lieu où chacun peut opérer une conscientisation de son mode de fonctionnement professionnel. "

             Cette méthode est fondée sur la co-réflexion à égalité à partir de problèmes concrets du terrain, le rôle de l'animateur psychanalyste est de mettre son expérience du fonctionnement psychique, du transfert et du contre-transfert, au service de la tâche commune, mais dans des formulations auxquelles a été donné le nom de " langage intermédiaire ".

             Il n'y a donc pas de transmission de type formel de son savoir par le spécialiste. En 1993 ces groupes se constituent en association (Loi 1901) l'AGSAS (Association des Groupes de Soutien au Soutien). La multiplication des groupes amène la même question : il n'y a pas assez de psychanalystes intéressés par ce type de travail. Finalement, ce problème est résolu par l'acceptation d'abord de psychologues cliniciens puis d'anciens enseignants de ces groupes ayant reçu une formation particulière.

 

Influence de Rogers

             En 1975, De Peretti va introduire de nouvelles dimensions en définissant un protocole pour les GAP. Par sa position dans l'Education Nationale il donne " droit de cité " à cette formation pour les enseignants et ceci dans l'institution elle-même. Par sa formation et sa représentativité il apporte, en France, une coloration rogérienne à ces groupes ; c'est-à-dire qu'il introduit une coupure avec la tradition purement psychanalytique.

             Ceci a le mérite de lever certaines résistances de l'E.N. à l'égard de la psychanalyse et ouvre de nouvelles possibilités pour les GAP.

Carl Rogers

André De Peretti

             Il va également apporter une solution différente aux problèmes que posait jusqu'à présent la formation des animateurs. En effet De Peretti pose l'hypothèse qu'on peut remplacer la formation d'un animateur par la rigueur d'un protocole dans le fonctionnement du groupe. C'est ainsi qu'il propose cinq étapes définies dans le détail. L'animation du groupe se réduisant alors au contrôle du respect du protocole. Ce qui permet de dire que l'animateur peut être un membre quelconque du groupe et même, pourquoi pas, à tour de rôle. Il n'y a plus besoin de " spécialiste ". On comprend que cette solution moins coûteuse ait rencontré du succès ! Ces positions sont, comme toujours, le fruit de l'expérience personnelle de leur auteur. (Voir Livre)

             Dans ce sillage rogérien on trouve, en particulier, Albert Moyne qui a organisé dans l'Académie de Lyon, de 1982 à 1987 des formations pédagogiques sous l'appellation " Pédagogie générale ". Ces formations, sur trois niveaux, visaient à articuler les méthodes et les facteurs relationnels dans l'acte d'enseigner, de façon interdisciplinaire sous la forme d'un ensemble de stages cohérents et complémentaires. (voir livre)

 

Adaptation de l'influence de Balint dans le milieu enseignant

             La tradition de Balint continue pourtant chez les enseignants: en 1982 aussi, Claudine Blanchard Laville commence un groupe d'analyse des pratiques avec un groupe homogène de professeurs de mathématiques. Son objectif est alors la compréhension de ce qui se passe sur un registre psychique quand un enseignant est en situation professionnelle, lors de son acte d'enseignement. Ce groupe est hors institution et l'occasion de recherches dans son travail d'enseignant chercheuse. Elle fait également des recherches sur les possibilités d'inclure l'écriture dans ces groupes, jusque là, dit groupes de parole. (Voir Livre) Ce travail, s'il s'inspire de Balint, met en place déjà des adaptations nécessaires (les enseignants ne sont pas des médecins, le savoir n'est pas la maladie, les enseignants travaillent le plus souvent avec des groupes d'élèves et le rapport à l'institution est omniprésent pour eux). (voir livre)

             Elle continuera à animer de tels groupes et se soucie de la formation d'animateurs pour continuer ce travail en créant un Masteur professionnelle de formation d'adultes avec la spécialité " Formation à l'intervention et à l'analyse des pratiques " à l'Université de Paris X

 

Influence des recherches sur la dynamique des petits groupes

 

             De 1979 à 1989 environ, j'ai animé avec Marie Françoise Bonicel, Maître de Conférence de Psychologie sociale clinique et Diplômée des Sciences Politiques et Economiques, Pierre Gaillard, Docteur en Psychanalyse, Annie Mandrille, Psychologue clinicienne, gestalt thérapeute, des petits groupes de formation dont les objectifs étaient de sensibiliser les enseignants à l'écoute et à la présence de l'imaginaire en eux et dans les groupes. (Voir livre)

             Ces groupes de 10 à 14 enseignants se réunissaient durant deux jours et demi, 2 à 3 fois par an, durant plusieurs années. Ces stages avaient chacun une thématique, (écoute de soi, écoute d'un groupe, entretien, faire face à la violence…). Au début du stage, nous travaillions à partir de situations problèmes que nous leur proposions, dans le registre de la thématique annoncée. Les participants pouvaient s'impliquer pour échanger ensuite sur ce qu'ils avaient entendu, perçu . Puis, très rapidement, le travail se faisait à partir de situations qu'ils apportaient eux-mêmes, situations qu'ils avaient vécues et sur lesquelles ils s'interrogeaient. Nous leur proposions alors de les analyser à partir de jeux de rôle, d'un travail sur des objets intermédiaires (terre, dessin, …) ou dans un entretien en face à face avec un animateur, devant le groupe en écoute, selon ce qui nous paraissait le plus adapté à la situation proposée.

             Autrement dit, nous étions bien dans une optique de GAP, de petits groupes où des personnes peuvent analyser des situations apportées mais pas totalement dans la lignée de Balint (temps plus long, utilisation de différentes méthodologies, importance donnée à l'imaginaire groupal…) ni dans la lignée de De Peretti par la souplesse des moyens utilisés, par l'existence d'un animateur formé, par le type d'écoute tenant compte de l'inconscient, par un souci de formation holistique plus grand…) 15

             Ces groupes ont été marqués au départ par ma formation analytique mais également par mes expériences de formation dans le cadre de l'ARIP (Association pour la recherche et l'intervention psychosociologique) fondée en 1959. Dès 1964 j'ai pu suivre des séminaires de formation et de recherche sur la dynamique des petits groupes avec des chercheurs tel que le Pr. Jean Maisonneuve (mon Directeur de thèse) (voir Livre), les psychosociologues :André Levy 17, Jean Rouchy (Voir Livre)18 , Eugène Enriquez19 et Mme Herbert du Tavistok Institue qui traduira le livre de W. Bion20 sur les petits groupes et fera sa psychanalyse avec Balint.. C'est aussi l'époque où Max Pagès fait paraître son livre, unique dans son genre, avec la transcription complète et l'analyse de l'imaginaire d'un petit groupe, celui de la " baleine " (Voir Livre)

 

             Ceci m'a amené à centrer, tout de suite, nos formations sur l'aspect groupal, sur l'écoute de l'imaginaire dans les groupes et sur l'importance du cadre (contenant, sécurisant). Ce qui me paraissait d'autant plus important que l'enseignant est, lui-même, animateur de groupe (classe) et qu'il est confronté continuellement à la question de la défense du cadre dans son enseignement.

 

             Des formateurs de nos groupes ayant eu, comme moi-même par la suite, une formation gestaltiste, on peut dire que ces groupes ont eu une double origine : la psychanalyse de groupe et la gestalt (voir Livre). Dans la mesure où elle donne une place importante au corps et aux émotions, cette dernière nous paraissait particulièrement adaptée aux enseignants qui ont souvent une tendance à la rationalisation.

             Nous avions également l'idée (qui s'est avérée être un fantasme !) que si nous formions un nombre suffisant (nombre critique) de stagiaires dans l'Académie, cela aurait un effet institutionnel. Nous étions donc sensibles au développement de ces formations sur l'Académie de Reims et ensuite ailleurs (Rennes, Strasbourg, Créteil.. .) et à l'étranger (Belgique, Luxembourg, Suisse, Tunisie, Portugal). Nous avons ainsi touché plus de 5000 enseignants et effectué plus de 500 stages de formation. Ce qui a rapidement posé le problème classique de trouver de nouveaux animateurs. Avec quelles formations ? Le Pr. Michel Warwrzyniak psychanalyste est venu nous aider et nous avons été amenés à prendre aussi comme animateurs d'anciens enseignants stagiaires ayant fait une formation complémentaire gestaltiste à Paris. Ils nous ont apporté une connaissance plus proche des questions que se posaient les enseignants.

 

             Dès le départ nous avons donné une place importante à la coanimation. Chaque groupe était animé par deux animateurs (un homme et une femme), ce qui permettait à l'un des animateurs de participer, par exemple, comme " Moi auxiliaire " dans un jeu de rôle tout en laissant l'autre animateur en position d'écoute du groupe et de rappel du cadre. Cette coanimation a été aussi une méthodologie de formation pour les nouveaux animateurs au fur et à mesure de leur arrivée. Enfin elle a permis de mettre au point une méthodologie de la coanimation. Elle comprenait des temps d'échange (deux fois par jour durant les stages) où les animateurs rapportaient les " fantaisies, association d'idées, émotions, rêves " qu'ils avaient eus durant les séances ou entre les séances. Les animateurs sont , en effet, membres du groupe et en tant que tels ils vivent la fantasmatique du groupe. C'est leur capacité à garder une distance par l'analyse de leurs propres fantasmes qui leur permettait de poser des hypothèses sur l'imaginaire groupal et souvent de prévoir ainsi l'évolution du groupe. Les travaux d'Anzieu (voir Livre) et de Käes (voir livre)ont alimenté nos réflexions.

 

             La gestalt (voir Livre)nous a donné l'idée d'utiliser toutes sortes d'objets intermédiaires ( inspirés de Winnicott ) : photo- langage, modelage de terre, jeu de rôle, dessin personnel, à deux ou en groupe, des choix d'objets que nous utilisions avec un langage intermédiaire, parfois un " mi-dire ", une " théorie vivante " qui permettaient aux enseignants de découvrir d'autres procédés de transmission de connaissances que celui auquel ils étaient habitués.

 

             Nous avons fait le choix de travailler dans l'institution et de façon hétérogène. Dans l'IREM, puis dans la MAFPEN et enfin dans l'IUFM. Hétérogène d'abord au niveau des disciplines puis ensuite également au niveau des fonctions : chefs d'établissement (mais pas avec leurs enseignants !) , infirmières, psychologues scolaires, conseillers d'éducation… et à la fin, également ATOS. Hétérogénéité, également, des établissements d'où venaient les participants. L'homogénéité nous semble orienter davantage le groupe vers le pédagogique, l'hétérogénéité vers le relationnel. Quelques fois des formations homogènes ont été proposées, par exemple, pour des chefs d'établissement

 

             En 1991 sont créés trois IUFM expérimentaux dont celui de Reims. Les décrets invitent à inventer des formations interdisciplinaires et communes aux futurs professeurs des écoles et professeurs de lycées. Marie Françoise Bonicel, Monique Ghesquière, avec qui nous avons déjà travaillé, et moi-même, devenons Directeurs adjoints de cet IUFM. Nous créerons alors 40 " groupes de suivi " animés par deux animateurs chacun. Il s'agissait, pour la plupart, d'anciens stagiaires de nos groupes de formation à la MAFPEN que nous avons aidés en les répartissant dans 4 groupes de " supervision " animés par l'un d'entre nous. Notre idée était que :

<<Ce travail ne peut se faire que dans des "petits groupes (10 à 15 personnes)

Ces groupes doivent être aussi proches que possible des stagiaires donc répartis dans toute l'Académie, ceci leur permettant de se retrouver en dehors des séances en limitant au maximum leurs déplacements.

lls doivent être animés par des personnes ayant elles-mêmes vécu cette expérience de "petit groupe" et formées à l'animation de tels groupes.

Ces animateurs doivent être indépendants du système d'évaluation dont l'I.U.F.M. doit être doté, la fonction d'aide et celle d'évaluation étant incompatibles sous peine de perversion. Il est bien évident qu'une même personne ne peut assumer les deux fonctions qu'auprès de personnes différentes. C'est pourquoi nous avons demandé aux I.E.N. de prendre un groupe en dehors de leur département.

Ces animateurs doivent être aidés dans leur animation par un travail de supervision qui leur permettra d'analyser eux aussi leurs difficultés dans l'animation de leur groupe.>>

             Nous avions, au départ, rendu obligatoire la participation à ces groupes pensant qu'une formation aux relations humaines était indispensable pour un enseignant. Nous avons dû, en milieu d'année, faire machine arrière et les rendre facultatifs et nous avons terminé l'année, pourtant, avec la moitié des stagiaires. Nous n'avions pas suffisamment, sans doute, tenu compte du mode de recrutement des enseignants toujours décalé par rapport à la profession qu'ils ont à exercer et de leur représentation du métier purement disciplinaire.

 

              En 1992-1993 Nous avons créé dans le cadre de la MAFPEN plusieurs Groupes d'analyse des pratiques en établissement pour répondre à des demandes qui nous avaient été faites. Cela nous a posé de nouvelles questions. Alors qu'un GAP dans un établissement permet de créer un groupe stable d'enseignants capables de travailler ensemble par la suite, leur démarrage est plus difficile dans la mesure où les défenses sont renforcées : les participants se connaissent déjà et sont amenés à se retrouver ensuite au quotidien.

 

Conclusion

             Dès les origines de l'analyse des pratiques, il y a eu des questions et des choix à faire.

 1) Quelle théorie (une ou plusieurs ?) présidera au fonctionnement de ces groupes ? La psychanalyse au départ, Rogers, la psychanalyse de groupe, la gestalt…

De là dépend la prise en compte, ou non, dans ces groupes de la dynamique psychique inconsciente et de l'imaginaire.

 2) Ces groupes devaient-ils être dans ou hors de l'institution E.N. ? Rester hors de l'institution laissait plus de liberté de fonctionnement, moins de risque d'interférences avec des problèmes d'évaluation, un choix assuré de volontariat et d'implication des participants. Etre dedans pouvait donner l'impression de pouvoir atteindre un plus grand nombre d'enseignants, d'influencer la marche de l'institution dans une optique systémique, de participer à la professionnalisation du métier d'enseignant

3) La participation à ces groupes devait-elle être obligatoire ou non. L'obligation pouvait se justifier par la nécessité pour un enseignant d'une formation aux relations humaines dans la mesure où les problèmes rencontrés par les enseignants touchent de plus en plus à ces aspects (violence, travail de groupe, travail en équipe d'enseignants, individualisation du soutien…). D'un autre côté, la nécessité d'investissement personnel dans une telle formation pouvait en écarter certains . Seul un recrutement où les conditions d'une telle formation seraient clairement exposé aurait pu l'autoriser.

 4) Ces groupes devaient-ils être homogènes, en particulier au niveau disciplinaire, ou au contraire hétérogènes ? La première solution accentuait l'aspect pédagogique, la deuxième, l'aspect relationnel. Homogène ou hétérogène au niveau des fonctions ? La première solution encourage le dialogue et la compréhension entre les niveaux hiérarchiques ; la deuxième permet le travail sur des questions plus pointues au niveau professionnel.

 5) Ces groupes devaient-ils être animés par un ou plusieurs animateurs formés (mais comment ?) ou rester entre pairs sans la présence de spécialistes ? La première solution étant gage d'une présence d'un tiers avec tout ce que cela entraîne, l'autre étant plus facile à instaurer, à multiplier et revenant moins chère.

 

              Il me semble qu'en définitive les origines de l'analyse des pratiques se situent dans cette coupure épistémologique et ce nouveau paradigme, celui des savoirs qui ne peuvent se transmettre uniquement par des cours classiques et purement formels.

             En effet, même si tout savoir touche en réalité la personne totale, on fait souvent comme si l'aspect cognitif pouvait exister seul indépendamment des affects et de l'imaginaire.

 

             Depuis une diversification de la forme des groupes de l'analyse des pratiques s'est produite, par exemple :

- en centrant ces groupes sur du pur pédagogique ou même du pur disciplinaire (didactique)

- en n'abordant que les aspects purement cognitifs ou linguistiques de ce qui se passe dans une classe.

- en revenant à un enseignement purement formel mais en petits groupes.

- en faisant de ces groupes des lieux " d' échanges d'idées ou d'expériences "

-

             Ces différentes formes de Groupes d'analyse des pratiques peuvent être des défenses contre la prise en compte de la dynamique psychique des participants mais également répondre à de nouveaux besoins ou encore à des étapes vers un approfondissement futur.

 

             En définitive ces groupes ne préfigurent-ils pas l'enseignement du XXI ème siècle dont parle Edgar Morin :

<< Il est remarquable que l'éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu'est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l'erreur comme à l'illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu'est connaître…

L'être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social, historique. C'est cette unité complexe de la nature humaine qui est complètement désintégrée dans l'enseignement, à travers les disciplines, et il est aujourd'hui impossible d'apprendre ce que signifie être humain, alors que chacun, où qu'il soit, devrait prendre connaissance et conscience à la fois du caractère complexe de son identité et de son identité commune avec tous les autres humains.. Ainsi, la condition humaine devrait être un objet essentiel de tout enseignement.>> Morin(E.) Les 7 savoirs nécessaires à l'éducation du futur. Unesco. Ed. Seuil (2000)p.11-12

 

On pourra consulter également:

Récit d’une expérience de formation clinique du personnel de l’Éducation nationale dans l’académie de Reims

Revue Connexions Erès n°75

La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, numéro 41

Comment faire ? Le défi de l’analyse de pratiques

Le site de Patrick Robo

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Commentaire

Réactions

<< Psychologue retenue pour un entretien d’embauche en tant qu’animateur de GAP, j’ai remis le nez ds mes cours et votre article est venu compléter les vides. Merci, je me sens prête pour être embauchée et faire du Bion travail !!!>>

<<C’est un des grands manques de la réforme en cours, des espaces protégés pour l’analyse de la pratique. J’anime pour ma part des GSAS, suivant la méthode de l’AGSAS et de Jacques Lévine, c’est remarquable.>>

<<Je connais bien André de Peretti et participé au travail d’une semaine de Carl Rogers lors de son dernier séjour en France, accompagné de sa Fille, de ses Assistants : Chuck (USA) & Brian Thorne (UK) et bien entendu d’ André de Peretti, mon Grand Ami, mon conseiller technique>>

<<Je vous félicite pour cette histoire des groupes de pratiques que j'ai trouvé passionante. Je suis animateur d'un groupe de pairs et je traverse des moments de confusion devant l'engouement et les enjeux qui se nouent autour de ce phénomène. La lecture de votre article m'a apportée d'indispensable clés de lecture de ma situation. Je vous remercie pour l'éclaircissement et le soulagement qui s'en ait suivi. Votre proposition d'envisager que ces groupes pourraient préfigurer l'enseignement du XXIème siècle est confirmée. L'entreprise qui m'emploit a mise en place un dispositif comparable dans le cadre du cursus de formation de ses cadres, c'est à dire qu'elle accepte qu'une partie de cet apprentissage échappe à son ambition de maîtrise et de contrôle. Bien à vous>>

<<Article passonnant. Nous-mêmes ,association d'accompagnement en gapp ou en individuel,avons groupe de recherches sur le sujet,autour du fondateur,GERARD WIEL,qui a publié à la Chronique Sociale à Lyon.>>

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