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Réapprendre le silence

 Lucette Turbet

             Notre monde occidental survolté file à la vitesse de l'éclair en vomissant des sons par tous ses orifices. Il a bien changé depuis les années soixante : la ville remplace la campagne et les voitures, le cheval. Les immeubles n'isolent pas comme pouvaient le faire les maisons individuelles ; les trains et les avions ont allongé la liste des moyens de locomotion et grignotent notre capital de silence.

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             La radio et le téléphone multiplient les sources sonores qui entament notre sphère de calme intime , même dans la rue avec le portable. Les amateurs de baladeurs, respectueux de leurs voisins, n'inondent que leurs oreilles mais combien poussent le volume à fond pour que personne ne perde un décibel de leur musique préférée. Même une séance de cinéma laisse abasourdi, un comble! Vous payez pour voir et entendre un film et le projectionniste traite vos oreilles de " non-entendantes "! A côté des bruits des diverses machines de notre ère industrielle peuplant notre univers quotidien, les sons de la nature semblent inexistants, du vent assourdissant à la mer déchaînée, des animaux tapageurs aux oiseaux criards.

 

             Les humains apportent leur propre lot de clameurs à ce tohu-bohu et chacun vit dans cet espace rempli comme un œuf dont la coquille est prête à craquer à la moindre note supplémentaire.

             Certains, jeune ou vieillard, femme ou homme, adorent cet univers et ne peuvent faire aucune action sans allumer la télévision, la radio ou le baladeur; d'autres essaient de s'en préserver et se confectionnent une bulle de tranquillité difficile à défendre contre les intrusions importunes à l'occasion d'une fenêtre ouverte, d'une réunion ou de travaux voisins ; d'autres enfin " supportent " avec des seuils de tolérance plus ou moins élevés et souvent variables d'un individu à l'autre, ce qui peut provoquer des tensions.

             Il est reconnu que le bruit est devenu, dans notre monde développé, un fléau bien supérieur à celui des images envahissantes. Car il est beaucoup plus difficile de s'en protéger que de s'isoler visuellement. Cette évidence l'est trop pour être perceptible sans un exemple.

Mettez-vous en situation d'entendre et voir votre téléviseur dans votre salon. Si vous détestez la publicité qui interrompt le cours de l'émission, que faites-vous? Si vous quittez la pièce, vous ne voyez plus l'écran mais le son vous suit, même affaibli par les portes, parfois jusqu'aux toilettes; si vous coupez le son, assis dans votre fauteuil, les images continuent à défiler. Et là, vous avez un moyen simple de ne plus les percevoir : vous fermez les yeux!

             Car l'œil a une paupière qui l'occulte à volonté. Pas l'oreille. Notre environnement envahit constamment notre boite crânienne par le canal du conduit auditif toujours ouvert. Nous sommes constamment sollicités par l'extérieur et détournés de notre univers intérieur. Constamment, notre pensée se heurte à la marée des bruits ambiants et si elle veut poursuivre son chemin sans se laisser détourner, elle doit opposer un barrage solide aux vagues envahissantes.

 

             " C'est un combat d'arrière-garde, " diront ceux qui peuvent travailler accompagnés de chansons tonitruantes, apprendre un texte ou des connaissances au milieu d'une foule bruyante, débattre sans se laisser distraire par des éclats de voix ou des grondements de moteur.

             Tout n'est qu'habitude, on s'accoutume au niveau sonore comme à toute chose inéluctable ; les jeunes nés avec la télé, l'ordinateur, la game-boy, le walkman, le téléphone portable et habitant pour 78% en ville, baignent dans un environnement sonore qui leur semble naturel.

 

             C'est l'évidence mais faut-il accepter sans réagir, est-ce sans conséquence ? Pourquoi nos jeunes semblent-ils de plus en plus dispersés, inattentifs, démotivés, agressifs pour certains? Les facteurs en jeu sont multiples et complexes mais si nous essayions de commencer par un bout de l'écheveau, par celui du rapport silence-bruit et de son influence sur l'attitude des humains, grands et petits… La société paysanne avait ses plages de silence tout comme ses fêtes et rassemblements tapageurs. Car le calme ne peut exister que par rapport au chahut, à la participation à voix haute. Comme dans une salle de classe où l'enseignant prend la parole pour lancer le cours, la laisse à un ou des élèves, à un groupe, organise des pauses pendant lesquelles chacun peut se concentrer sur la question étudiée. La préparation du professeur contient la répartition du temps de parole : apports et problématisation du maître-questions et travail des élèves, avec assimilation pour les plus rapides ; ce déroulement prévu n'est pas figé et doit être adapté au fur et à mesure, ce qui exige attention, écoute, analyse instantanée et souplesse de la part de l'enseignant : tout un art ! Un idéal qui oublie les débordements possibles de trente à trente-cinq voix individuelles face à une seule mais n'avons-nous pas besoin d'un modèle dont nous approcher…

             Le Verbe, en littérature et en religion, est création de pensée par les mots : il n'existe que parce qu'il est écouté, parce que l'on se tait pour l'entendre. Le Verbe devient la " liqueur d'or " d'Arthur Rimbaud qu'il utilise pour " écrire des silences ".

             Pourquoi l'école ne se donnerait-elle pas comme objectif de faire comprendre à la majorité des jeunes le rôle du silence? Non un silence de vide et d'absence mais de nécessité et plénitude.

             Je rêve d'exercices de silence, d'exercices de concentration, d'exercices sur le fonctionnement de sa pensée, d'exercices d'intériorisation d'une idée, d'une notion…pour enfin briser le verbiage stérile, la logorrhée débile, les mots creux et superficiels, les discours fallacieux dont notre environnement nous abreuve le plus souvent. Pour que chaque maître aide ses élèves à retrouve la liqueur d'or!

  28-12-2008

 

Voir aussi:

Les secrets du silence ou PPCP,

Presque Petit Conte Pédagogique

par Lucette Turbet  

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