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Comment définir la démarche clinique d'orientation psychanalytique ?

Claudine Blanchard-Laville

Professeur émérite de sciences de l'éducation  

             À nos yeux, et dans la ligne des travaux de Claude Revault d'Allonnes, la démarche clinique d'orientation psychanalytique est bien plus qu'un style méthodologique, c'est une démarche de connaissance qui peut apporter une contribution significative à la production de savoirs dans le champ des recherches en sciences de l'éducation.

 

            C'est à cette auteur et à l'ouvrage qu'elle a dirigé en 1989 chez Dunod, sous l'intitulé La démarche clinique en Sciences Humaines, que l'on doit d'être passé de la psychologie clinique à la démarche clinique, c'est-à-dire d'être passé d'une discipline constituée, avec ses méthodes, son corps de connaissances, son champ d'intervention et de pratiques, à un mode de connaissance transposable à un champ de pratiques différentes. Cette extension concerne aussi bien la sociologie, que l'ethnologie, les sciences de l'éducation, le travail social, dès lors que se pose la question du sujet ou plus exactement celle de la subjectivité, et de sa place dans le champ social.

           Cette approche, plus récente que l'approche expérimentale, doit encore s'efforcer de conquérir une légitimité dans le champ des sciences humaines. Elle suscite en effet un certain nombre de réticences, voire de résistances parmi les chercheurs, sans doute du fait de sa proximité avec la psychanalyse, ce qui l'entraîne à être attaquée quelquefois à partir des mêmes arguments et des mêmes peurs fantasmatiques que la psychanalyse.

           Pour notre part, nous avons pu constater que cette démarche est productive de compréhensions nouvelles dans le domaine des recherches en éducation et formation. Ce constat s'appuie à la fois sur les résultats des recherches que nous avons menées et qui ont été publiées pour la plupart, ainsi que sur l'expérience clinique accumulée dans la pratique d'accompagnement groupal d'enseignants et de formateurs d'enseignants. En effet, l'approche clinique présente un double versant : une dimension de méthode de recherche et nos publications témoignent de sa fécondité mais aussi une dimension formative qui permet un apport décisif dans l'accompagnement de professionnels de la relation en termes d'analyse clinique des pratiques.

           Ouvrons une petite parenthèse, néanmoins importante, en notant que la seule référence au vocable de clinique ne suffit pas à trancher sur l'approche choisie. Car utiliser le terme " clinique " ne rend pas compte du type de regard porté sur les sujets auprès desquels on se penche ou que l'on accompagne, autrement dit cela ne suffit pas à évoquer le point de vue théorique avec lesquels on observe ce, ou ces sujets. Car des sujets, il y en a autant que de regards théoriques : on parlera de sujet social, de sujet philosophique, de sujet cognitif ou encore de sujet didactique etc. Associés à ces différents sujets, il y a donc plusieurs cliniques : on peut penser à une clinique didactique, par exemple, qui se pencherait au chevet des sujets didactiques en situation d'enseignement avec les outils propres à une théorie didactique, ou à une clinique rogérienne qui s'occuperait du sujet psychologique vu dans le prisme des théories de Carl Rogers, etc. (Blanchard-Laville, 1999, 2007).

           Lorsqu'on parle d'une clinique d'orientation psychanalytique, le sujet auprès duquel nous nous penchons, que ce soit pour la recherche ou pour l'accompagnement, est avant tout un sujet aux prises avec son psychisme inconscient au sens de Sigmund Freud, c'est-à-dire au sens de la psychanalyse. Le sujet, c'est celui de l'inconscient, celui qui a un appareil psychique, avec ses diverses instances, sa charge pulsionnelle, ses fantasmes, ses mécanismes propres.

           La démarche clinique est centrée sur une ou des personnes en situation et en interaction, avec l'objectif premier de comprendre la dynamique et/ou le fonctionnement de ce (ou ces) sujet(s) dans leur singularité irréductible. Le chercheur clinicien travaille pour cela dans et sur la relation, dans un décalage et une distance rendus opératoires par le biais des dispositifs mis en place. Il en découle l'une des spécificités de la démarche clinique qui réside dans l'analyse du positionnement du chercheur clinicien, c'est-à-dire dans le réglage de la distance entre le sujet-chercheur et l'objet observé, le plus souvent constitué par un autre sujet. C'est avec cette interaction permanente que le clinicien d'orientation psychanalytique doit compter, alors que l'expérimentaliste fait généralement en sorte de l'évacuer, la considérant comme un parasite de la situation de recherche. Ce lien entre les chercheurs et les sujets de leur recherche crée une tension féconde qu'il leur revient de soutenir, comme l'a montré Claude Revault d'Allonnes.

           Nous devons insister sur le fait que cette forme de connaissance que représente l'approche clinique d'orientation psychanalytique est aujourd'hui largement détachée de l'influence médicale et donc d'une perspective pathologisante. Ce qui la spécifie, au-delà de la prise en compte des processus inconscients, nous y insistons, c'est sûrement ce fait que le chercheur ne peut s'abstraire de la relation aux sujets qu'il étudie ; cette relation fait elle-même partie de la recherche.

          A ce jour, un grand nombre de thèses ont été soutenues dans notre champ selon cette approche ; on peut trouver des recensions des thèses les plus récentes dans la revue Cliopsy (revue électronique semestrielle en accès libre à l'adresse suivante : www.revue.cliopsy.fr) que nous avons créée en 2009 pour soutenir ce courant de recherches, au-delà de la réalisation des colloques que nous organisons tous les trois ans avec le soutien du réseau Cliopsy depuis 2003 (Blanchard-Laville, 2013a).

 

Conséquences sur la formation

          Favoriser l'acte de formation, repose, selon cette approche, sur la nécessité de penser le cadre instauré, la posture des formateurs en lien avec l'élaboration de la fantasmatique à l'œuvre au cours de cet acte. En effet, dans le cadre d'une action de formation, les formateurs devraient être conduits à instaurer un cadre à l'intérieur duquel les formés pourront découvrir le plaisir de partager ensemble le fait de se mettre en rapport avec les savoirs transmis et de penser dans un climat de confiance à même de contenir les anxiétés de chacun/e. Cette approche nous induit à faire l'hypothèse que, pour que cela se réalise, les formateurs ont un travail à accomplir celui de dégager leur posture intérieure des méandres où les entraîne leur fantasmatique. Ce travail psychique a sans doute un caractère d'invisibilité (Blanchard-Laville et Kattar, 2008), dans la mesure où il nécessite que chacun d'entre nous en ait perçu les effets par une forme d'expérience personnelle pour pouvoir l'appréhender. La posture se construit en élaborant, dans leur après-coup, les situations vécues et les affects qui leur sont liés, cela dans des espaces de supervision ou d'analyse de pratiques. C'est dans ces espaces que les formateurs peuvent faire en sorte que leurs propres angoisses ne viennent pas trop empiéter l'espace de formation ou répondre en miroir à celles des formés ; ou que leurs enjeux narcissiques ne se trouvent pas en stricte collusion avec les attentes imaginaires des formés. Ou encore que leurs pulsions agressives ou d'emprise ou à l'inverse leur propension à jouer sur les dimensions de séduction soient un peu élaborées ainsi que leurs fantasmes de toute-puissance. Ce type de travail n'a pas pour but d'indiquer à l'enseignant ou au formateur qu'il doit éliminer tous les fantasmes qui l'habitent sans lesquels, d'ailleurs, il ne pourrait conduire aucune action. Il s'agit plutôt, pour chacun de nous, de tenter d'interroger nos fantasmes et notre rapport au savoir pour en mesurer l'impact dans les actes que nous produisons.

          Ce travail clinique d'élaboration psychique de sa posture s'effectue pour une grande part, en dehors des moments stricts de formation, il entraîne des réaménagements psychiques qui induisent une autre manière d'habiter et d'animer le geste formatif. Le formateur est conscient de la difficulté de rendre compte des effets que provoquent sur lui, les élaborations psychiques groupales mais c'est en partie à ce niveau que se joue pour nous la professionnalisation des formateurs.

 

Actualités des dispositifs d'analyse de pratiques dans la formation des enseignants

          Les dispositifs d'analyse de pratiques professionnelles sont présents dans le champ de la formation des enseignants depuis longtemps et se sont fortement développés depuis les années 1980. Mais, aujourd'hui, l'expression " analyse de pratiques professionnelles " désigne des réalités de travail sur la pratique enseignante multiples et diverses.

          Dans la dernière réforme de la formation des enseignants, l'expression " analyse de pratiques " reste présente dans différents textes officiels. Dans le document de travail diffusé par les ministères de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche préparant le cadrage national des futurs Masters mention " Métiers de l'Enseignement, de l'Education et de la Formation ", cette expression apparaissait à trois reprises : en précisant notamment que le cursus de ce master doit " intégrer des analyses de pratiques " et que " l'activité de recherche doit permettre l'acquisition de compétences en lien avec le métier, notamment l'observation et l'analyse des pratiques professionnelles ".

          Cette expression " analyse de pratiques " désigne aussi une compétence à développer dans la formation : par exemple, parmi les compétences à acquérir par les professeurs pour l'exercice de leur métier, chaque enseignant doit être " capable de faire une analyse critique de son travail et de modifier, le cas échéant, ses pratiques d'enseignement " (BOEN du 18 juillet 2010, Compétence 10). Mais l'expression " analyse de pratiques " désigne aussi bien une modalité de formation. Après avoir connu une large diffusion et avoir pris place dans les plans de formation initiale des enseignants dans les années 1990-2000, les groupes d'analyse de pratiques semblent beaucoup moins nombreux aujourd'hui et leur mise en place beaucoup plus difficile depuis la réforme de la masterisation. L'analyse de pratiques comme modalité de formation des enseignants semble désormais réservée à la formation continue.

          Cependant nos travaux à partir des dispositifs de groupe d'analyse clinique des pratiques enseignantes montrent que ces groupes permettent de sensibiliser les enseignants, qu'ils soient débutants ou expérimentés, à certaines dimensions importantes de leur métier (Blanchard-Laville, 2001, 2012, 2013b). Dans ces groupes, l'analyse porte principalement sur les affects éprouvés par les professionnels en situation et c'est leur implication psychique dans les situations vécues, et rapportées par un récit dans le groupe, qui fait l'objet des élaborations groupales. Pour s'engager dans cette voie, l'animateur ou l'animatrice doit se former à ce type de travail et il nous semble préférable qu'il ait été auparavant participant lui-même ou elle-même d'un tel groupe.

 

Éléments bibliographiques

Blanchard-Laville, C. (1999). L'approche clinique d'inspiration psychanalytique. Enjeux théoriques et méthodologiques. Revue Française de Pédagogie, 127.

Blanchard-Laville, C. (2001). Les enseignants entre plaisir et souffrance (version numérisée 2013) Paris : Puf.

Blanchard-Laville, C. (2007). Pour une clinique d'orientation psychanalytique en sciences de l'éducation, Revue Chemins de formation, 10-11, 83-95.

Blanchard-Laville, C. (2012). Pour une clinique groupale du travail enseignant. Cliopsy, 8, 47-71 (www.revue.cliopsy.fr).

Blanchard-Laville, C. (2013a). Psychanalyse, éducation et formation. Évolution d'un champ de recherche. Dans Bernard Pechberty, Florian Houssier et Philippe Chaussecourte (éds), Existe-t-il une éducation suffisamment bonne ? Paris : Éditions In Press, p. 25-46.

Blanchard-Laville, C. (2013b) Au risque d'enseigner. Paris : Puf.

Blanchard-Laville, C. ; Chaussecourte, P. ; Hatchuel, F. ; Pechberty, B. (2005). Recherches cliniques d'orientation psychanalytique dans le champ de l'éducation et de la formation. Note de synthèse. Revue Française de Pédagogie, 151, 111-162.

Blanchard-Laville, C. ; Kattar, A. (2008). Invisibilité du travail psychique des formateurs, Revue Soins Cadres de Santé, 65, 35-38.

Revault d'Allonnes, C. (1989). La démarche clinique en Sciences Humaines. Paris : Dunod.

 

Claudine Blanchard-Laville, Professeur émérite en sciences de l'éducation, équipe Clinique du rapport au savoir, Centre de Recherche Éducation et Formation (EA 1589), université Paris Ouest Nanterre

Arnaud Dubois, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Laboratoire Ecole, Mutation, Apprentissages (EA 4507), université de Cergy-Pontoise

Antoine Kattar, Psychosociologue, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Espé/Université de Picardie Jules Verne, Laboratoire CAREF (Centre Amiénois de Recherche en Éducation et Formation) à Amiens - EA 4697

Sophie Lerner-Seï, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Laboratoire EDA (EA 4071), université Paris Descartes

 

 On peut voir également:

http://www.pedagopsy.eu/concepts_didactiques.htm

 

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