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L’école maternelle,

fonction maternelle ou paternelle?

 Chantal COSTANTINI  

 

           La question que je me suis posée, est qu’il semble que l’école, intervenant dans la séparation de la relation mère-enfant, endosserait plutôt une fonction paternelle. Cette fonction envisagée comme fonction séparatrice permet de comprendre la place du père en tant que tiers, facilitant l’accès à la parole de l’enfant, car posant l’inter-dit ; ce « dit » correspond aux échanges mère-enfant inscrits dans une relation fusionnelle, que le tiers viendrait interroger. On imagine que n’importe quel « tiers » peut venir occuper cette place « symbolique ».            Aussi, c’est dans cette contradiction entre la dénomination d’une école « maternelle », et ce qui est supposé être sa fonction d’ordre paternel, que se situe ma réflexion.

Extraits de la THÈSE Pour l’obtention du grade de Docteur en Sciences de l’éducation présentée et soutenue publiquement par Chantal COSTANTINI le 17 juin 2008 sous la direction du Professeur Claudine BLANCHARD-LAVILLE

 
La fonction enseignante : fonction paternelle, fonction maternelle

La fonction paternelle

           Françoise Hurstel rappelle que la fonction fondamentale du père telle que Jacques Lacan l’a définie, est de s’interposer dans la relation fusionnelle mère-enfant. Selon Lacan, dans le contexte socio-historique qu’il a nommé « déclin social de l’image du père », la fonction fondamentale du père consiste à agir en tant que coupure symbolique permettant à l’enfant d’entrer dans le monde du langage et de la culture, et à la mère, de devenir mère, en référence à l’interdit fondateur de la parenté, l’interdit de l’inceste, loi dont le père est le représentant.

           Un parent, c’est quelqu’un qui a sa place dans un système de nominations, dans une structure de parenté. Et, si la mère ou le père ont à advenir comme parents de l’enfant, inscrits à leur place dans la différence des générations, l’enfant, lui, a à advenir comme « fils de, ou fille de ». Il peut à partir de cette loi, se différencier selon la double différence : celle des générations et celle des sexes, c’est-à-dire entrer dans l’Oedipe et constituer son identité : l’enfant naît deux fois, une première fois au monde, une seconde fois à l’humanité.

           Ainsi, le père dans sa fonction fondamentale, est d’abord un nom, lié à une loi, qui structure les parentés. Sa fonction symbolique correspond à une fonction de tiers, qui doit être garantie à chaque enfant par la société et la famille. Certes, il s’agit d’une approche structuraliste dérivée du modèle proposé par Claude Levi-Strauss, mais cette théorisation, annoncée par Freud, montre que l’autorité paternelle n’est plus liée dans sa théorie à un pouvoir politique et social, mais est rattachée au Nom du père, dans sa dimension interdictrice, et à la parole de celui qui la porte. Elle prend acte implicitement, de la privatisation du père. La fonction paternelle se déploierait entre deux pôles : celui de la dénomination et de la désignation des pères par le Droit.

           A l’école, comment l’enseignant-e parvient-il/elle à endosser cette fonction ?

 

La fonction maternelle

           Tenter de définir la fonction maternelle dans sa dimension symbolique revient à faire la distinction entre la fonction maternelle en référence à l’enfant, à ce qui lui est nécessaire, et la manière dont un sujet incarne cette fonction.

D’après B. Golse, c’est sur la bisexualité psychique que se fondent les fonctions maternelle ou paternelle ; du reste, le maternel et le féminin ne seraient pas réservés à la femme, pas plus que les hommes n’auraient l’exclusivité du masculin ou du paternel.

           Le bébé sollicite chacun des deux parents dans l’un de deux registres, et pas forcément la mère dans le registre maternel ou le père dans le registre paternel.

           De leur côté, « le père et la mère, par le biais de leurs identifications régressives qui les renvoient à leur histoire infantile précoce, vont entrer avec lui dans une relation marquée par un dosage variable de leurs propres composantes masculines et féminines », précise B. Golse.

           Pour lui, les enveloppes psychiques, tout comme le père ou la mère, assure un mixte de fonctions ; on peut ainsi ranger la réceptivité, la capacité d’attention ou de rêverie (selon Bion) et le holding, du côté maternel, alors qu’on rattacherait plutôt la capacité de limitation, de consistance et d’interdictions du côté paternel.

           Mais qu’est-ce qui ferait tout de même la spécificité de la fonction maternelle ? Winnicott a décrit trois fonctions caractérisant la mère-environnement : le holding, la manière dont l’enfant est porté, le handling,la manière dont il est traité, manipulé, et l’object-presenting, le mode de présentation de l’objet. Ces fonctions assumées par une « mère suffisamment bonne » assurent au bébé « le sentiment continu d’exister » en lui offrant le soutien psychique nécessaire à son développement.

           Winnicott définit la notion de « préoccupation maternelle primaire » comme un état psychique particulier développé par la mère, sorte « d’état organisé […] qui pourrait être comparé à un état de repli, ou à un état de dissociation, ou à une fugue » et qui, grâce à la rythmicité des échanges et à la ritualisation des soins maternels, constitue un facteur structurant pour le développement de l’enfant.

           D. Meltzer quant à lui, utilise le concept de « vie privée » pour qualifier la relation intime qui se noue entre la mère et l’enfant, relation garantissant un espace, sorte de « serre chaude » permettant à l’enfant de grandir.

Mais la qualité optimale de l’objet maternant est d’assurer une fonction symbolisante ; « l’accordage affectif » décrit par Daniel Stern, caractérise les échanges entre la mère et l’enfant au cours desquels « la mère traduit par son comportement un éprouvé affectif ou émotionnel du bébé dont elle reproduira les propriétés (l’intensité, le rythme, la forme), ce qui donne au bébé non seulement une représentation de son état subjectif – l’accordage est une première forme de symbolisation – mais aussi et surtout l’expérience d’un partage subjectif de l’affect, de l’état émotionnel ».

Aussi, la malléabilité, l’inconditionnelle disponibilité, ou l’extrême sensibilité sont des modalités spécifiques de l’objet maternant en tant que médiateur de la symbolisation (medium malléable, notion développée par R. Roussillon).

           L’enseignant-e à l’école maternelle n’aurait-il/elle pas à développer cette capacité « d’accordage affectif » afin d’aider l’enfant dans ses premières symbolisations, notamment en petite section ? Mais cette fonction maternelle ne peut pas être suffisante pour assurer l’équilibre dans la relation enseignantenseignés.

 

La fonction enseignante à l’école maternelle

           Liliane Lurçat considère que le sens des mots « école maternelle » met en avant à la fois les fonctions de maternage spécifique aux soins des petits mais aussi, une certaine façon d’appréhender l’enfant en tant qu’être total, « dans la non-séparation des besoins matériels, affectifs et intellectuels »

           En d’autres termes, l’école maternelle prendrait à son compte ce que la fonction maternelle permet, c’est-à-dire penser l’enfant dans sa globalité et non pas comme un être morcelé dont les dimensions qui composent sa personne seraient dissociées et laissées aux soins de personnels différents.

 

           Les enseignants hommes ont été écartés de l’enseignement préélémentaire, pendant un temps, depuis la loi de 1886 qui imposait un recrutement uniquement féminin pour l’enseignement préscolaire. Cette loi a été abrogée en 1977, donnant aux hommes l’occasion de réapparaître dans l’éducation des tout petits, remettant ainsi en cause la notion de compétence maternelle innée. La circulaire du 2 août 1977 précise que la pédagogie « ne peut relever comme on le croît trop souvent du seul bon sens et de l’intuition » ; l’objectif de la maîtresse n’est pas de « remplacer la mère mais de parvenir à ce que chaque enfant se plaise à vivre à côté d’elle et de ses pairs ».

           Ce sont alors des modèles d’ordre culturel qui sont proposés aux enseignants de la petite enfance, dont les compétences procèdent avant tout d’une connaissance de « l’enfant, des formes et des besoins de son développement » ; de même, le savoir de l’enseignant résulte de « la formation initiale et permanente des instituteurs ».

 

           Depuis 1977, l’enseignant d’école maternelle n’est plus motivé par la « vocation maternelle » mais s’impose par son savoir. Ce déplacement de fonction permet-il d’envisager la fonction enseignante différemment ?

Pourrait-elle s’envisager comme la résultante des fonctions maternelle et paternelle ? Ou bien l’enseignant déploie-t-il sa fonction tantôt dans un registre tantôt dans l’autre ?

           La notion de « parents combinés bons » développée par Salomon Resnik (s’appuyant sur celle de « parents combinés » chez Mélanie Klein) « rend compte de cet alliage entre la fonction maternelle qui contient l’expérience, et la fonction paternelle qui la structure, la coordonne, l’organise. Les fonctions maternelle et paternelle doivent être harmonieusement combinées dans l’espace interne de l’objet contenant (et dans l’espace social des relations aux premiers objets externes) afin que l’enfant puisse introjecter une image de parents combinés bons », rappellent A. Ciccone et M. Lhopital.

           Dans son article intitulé : « L’enseignant et la transmission dans l’espace psychique de la classe », C. Blanchard-Laville montre en transposant le concept « d’enveloppe psychique » à l’espace de la classe, la nécessité de s’attacher à la double polarité de cette enveloppe pour appréhender la fonction enseignante. A partir d’observations de situations de classe, elle constate que l’enseignant construit « une organisation spatio-temporelle » qui autorise l’élève à « se mouvoir », c’est-à-dire à apprendre sous le contrôle de l’enseignant, malgré le fait que ces organisations puissent paraître parfois contraignantes pour l’élève, mais assurent toutefois une certaine sécurité. « La capacité à exercer une fonction contenante » permettrait à l’enseignant de se laisser solliciter à la fois dans les fonctions d’ordre paternel et maternel, c’est-à-dire à limiter ou se laisser distendre, pour répondre aux appels émanant des élèves.

           Cette fonction contenant invite à envisager la fonction enseignante comme intégrant des aspects différents. Les perspectives de réflexions qu’offre la transposition de la notion de fonction contenante à la fonction enseignante, consistent à appréhender celle-ci, non plus par rapport à la dichotomie entre les fonctions maternelle on paternelle, mais dans une visée d’intégration de ces fonctions.

           En transposant la notion « d’enveloppe psychique » à l’espace didactique, C. Blanchard-Laville rapproche la situation du sujet enseigné dans la classe à un certain niveau, celui de « l’état de dépendance provisoire à l’enseignant/environnement, qui ne peut manquer de réveiller en lui cette détresse archaïque du nourrisson dépendant absolu » ; c’est la raison pour laquelle l’auteure estime opérante la transposition de la modélisation des liens décrivant la relation primitive mère-enfant à celle de la relation enseignant-enseignés, car pouvant apporter un éclairage pertinent du lien didactique.

 Bibliographie

HURSTEL F. 2000. « Penser la paternité contemporaine, raisonner sur la clinique », in Fonctions maternelle et paternelle, sous la direction de GREINER G. Ramonville Saint-Agne : Editions Érès,

LACAN J. 1956. « Fonction et champ de la parole et du langage », in Ecrits. Paris : Le Seuil.

GOLSE B. 2000. « Le maternel et le féminin au regard de la bisexualité psychique » in Fonctions maternelle et paternelle, sous la direction de GREINER G. Ramonville Saint-Agne : Editions Érès

WINNICOTT D. W. 1975. Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris : Gallimard

WINNICOTT D. W. 1956. « La préoccupation maternelle primaire », in De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot

533 MELTZER D. 1987. « Exposé sur les relations entre le conflit esthétique et le problème de violence », in Le Bulletin du groupe d’études et de recherches psychanalytiques pour le développement de l’enfant et du nourrisson, vol. 9, publication internationale

534 STERN D. 1985. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris : PUF, cité par CICCONE A. et LHOPITAL

535 CICCONE A. et LHOPITAL M., op. cit. p. 73.

536 ROUSSILLON R. 1999. Agonie, Clivage et Symbolisation. Paris : PUF,

COTTEZ J. et LURÇAT L. 1982. Grand à la crèche ou petit à la maternelle ? La vie collective à deux ans. Paris : SYROS.

538 RESNIK S. 1999. Le Temps des glaciations. Voyage dans le monde de la folie. Ramonville Saint-Agne : Editions Érès, cité par CICCONE A. et LHOPITAL M., op. cit. p. 73.

540 BLANCHARD-LAVILLE C. 1997. « L’enseignant et la transmission psychique dans la classe », in Recherches en Didactique des Mathématiques, vol. 17, n°3.

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Commentaire

Voir: les autres passages de la thèse de Chantal COSTANTINI  

Réaction

<<Très bien, vous avez bien cerner la différence entre le rôle et la fonction de chacun dans l’histoire...La complémentarité entre les réaction du père, de la mère et de l’institution ne doivent pas se substituer les uns aux autres où venir les remplacer comme c’est le cas aujourd’hui !!! Souvenez vous que la papa doit toujours jouer son rôle de séparateur et sa fonction paternelle de socialisation séparatrice par rapport au monde...Une mère pourra le faire mais de manière beaucoup moins ferme et volontaire dans son entendement comme dans son axiome qui a pour but la séparation pour l’épanouissement de tous. Aussi le père doit être un serviteur de sa femme comme Christ a aimé l’église en sacrifiant sa vie pour elle et en prenant soin d’elle en la considérant telle qu’elle est avec ses période difficiles(menstruations) comme lors de ses périodes plus exaltentes...lui laisser toujours le bénéfice du doute...>>

 

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